La capture de l’elfe gris fut un jeu d’enfant. Le voici emballé dans un tapis que Djalesh transporte fièrement vers sa destination finale. Une fin glorieuse l’attend.

La bâtisse est encore plus lugubre que lors de leur précédente visite. Chaque parcelle de lumière semble étouffée, comme bannie. Maïthérée entame un chant monotone et monocorde. Une femme menue au visage de cire et à la chevelure fuligineuse l’accompagne dans son oraison funèbre. Une eau noirâtre suinte des murs défraîchis et nus. L’humidité s’immisce dans chaque recoin imprégnant leurs habits. Le temps d’une cérémonie, la vie a déserté les lieux, laissant sa place à celui qui apporte la mort.

La procession rejoint le grand prêtre Varak qui les acclame du haut de son autel par une clameur qu’on ne lui soupçonnait pas. Maïthérée se saisit de l’elfe terrorisé. D’un geste brusque et violent elle lui brise la clavicule puis, le traînant, entame une marche interminable autour de l’autel tout en psalmodiant. Un épais brouillard s’est abattu autour de la scène. L’atmosphère, déjà oppressante, est montée d’un cran. La femme menue, à l’allure de plus en plus féline, tourne autour de l’autel, vite, encore plus vite, toujours plus vite. On ne distingue plus qu’un mince trait noir qui s’effiloche. Varak, la main tournée vers le haut, poursuit son incantation. Les yeux révulsés, il est plongé dans une transe dont on pressent qu’il ne reviendra pas. Il se consume lentement. La féline lacère l’elfe de ses griffes acérées. Il ne reste que quelques lambeaux d’habits qui naguère avaient été princiers. De son corps scarifié s’échappe des ruisselets de sang. D’un mouvement vigoureux, Maithérée projette cette carcasse faite de sang et d’os sur le haut de l’autel. Des spasmes agitent encore le corps de Delnoé, derniers hoquets avant la mort. Son sang inonde l’arène.

Maïthérée et la féline ont cessé leurs manèges. Elles s’éloignent du centre de la salle. Soudain, alors que seuls les râles de l’elfe déchirent le silence, le grand prêtre pousse un cri inhumain. Il brandi un long Kriss en ivoire qu’il pointe vers les cieux. D’un geste vif inattendu chez cet homme massif, il pourfend sa victime. La scène se fige. L’elfe, la poitrine transpercée par l’arme, ne bouge plus. Varak a disparu. Seule sa longue toge flotte dans les airs, bercée par une douce brise qui s’est levée, pour retomber sans hâte sur les marches de l’autel sacrificiel. Leur hôtesse fixe de ses yeux exorbités cette coque vide. Pourquoi !

Shade et Djalesh, guère rassurés, attendent le dénouement le plus à l’écart possible. Un bras de l’elfe n’aurait-il pas bougé ? Puis l’autre. Tout le corps s’anime maintenant. L’elfe, du moins celui qui un jour s’appelait Delnoé, se tourne vers l’assemblée. Ce visage décharné et flétri aux orbites vides et aux longs cheveux décolorés, n’a plus rien de vivant. Voilà qu’il se redresse. Il descend les marches unes à unes. Les observateurs tentent de se dissimuler dans le brouillard dense qui se refuse à eux. Non, ils ne fuiront pas. Le squelette, avance à pas lents mais sûrs vers Djalesh. Cette chose, qu’il y a peu avait été un elfe s’exprime avec une voix rauque et éraillée, dans un dialecte suranné, à peine intelligible. Djalesh se tient stoïque, conscient que ce moment restera gravé dans sa mémoire. S’il ne meurt pas. Non, il ne mourra pas. Pas cette fois.

Extrait d’un dialogue étrange :


♦ Oui, Djalesh est un représentant d’AEL. Alors Djalesh sert AEL ? Il n’a pas dit exactement cela, c’est plus complexe. Ils sont proches, cela ne fait pas de doute.
♦ Non, Djalesh n’a pas besoin d’un objet particulier, sorte de médiation entre les deux parties, pour maintenir un quelconque contact. Au contraire du prêtre Varak ou de Maïthérée.
♦ On les qualifie de « dieux ». A l’instar de tout être mortel, ils redoutent la mort et tremblent devant la défaite.
♦ Oui, il a détruit Varak. C’est vrai. Pour assurer sa sécurité. Afin d’éviter qu’il n’attire l’attention de ceux qui nous chassent et pourchassent. S’ils nous découvrent, s’ils nous retrouvent, ils nous élimineront. Vous aussi d’ailleurs.
♦ Non, ils n’ont pas pris encore conscience de ce qu’ils sont ; ni de qui je suis ou qui vous êtes. C’est heureux, il s’agit d’une de leur rare faiblesse. Il faut l’exploiter. Ils apprennent. Ils s’éveillent lentement, attirés par les bruits qui courent, les ondelettes qui naissent sur cet océan jusqu’alors tranquille. Il y a des inconscients parmi nous et leur insouciance les ont sortis de leur torpeur. A force de tirer sur la corde, elle risque de se rompre.
♦ Oui, depuis la fuite, des personnes comme vous et moi se reconstruisent. Non, il se reprend ; après la débandade. Chacun tente de se relever selon ses moyens et les possibilités qui s’offrent à lui.
♦ Moins je vous en dirai, moins ils lorgneront de mon côté et du vôtre. Leur instinct les pousse, dicte leurs actes. Pour je ne sais qu’elle raison ils sont venus par ici.
♦ Oui, évitez-les. Repoussez-les. Fourvoyez-les. Tout cela est possible. Inutile de les combattre frontalement. Attention au bourreau ! Quand les autres découvrent qui nous sommes, alors ils l’appellent. Face à lui, il n’y a pas d’échappatoire. C’est notre maître à tous.
♦ Vous aspirez à la grandeur ? Vous briguez le rang de bourreau ? Il n’en existe que trois dans les mondes connus dès lors que l’on m’inclut dans ce décompte. Celui, dont je viens d’évoquer le rôle.


Le cadavre de l’elfe qui a été pour un temps AEL retombe au sol. La brume se dissipe. L’oppression qui les étreignait s’éloigne. Ils respirent à nouveau. Maïthérée est atterrée par la disparition de Varak. La proximité de sa divinité ne l’a pas rassérénée. Attention, pas d’acte inconsidéré, Maïthérée ! Notre amitié se verrai entachée.

Ils reprennent peu à peu leurs esprits et retournent à l’auberge. Bien. Que faire ? Infiltrer le quartier Noble. La femme féline -elle a omis de leur mentionner son nom- celle qui bat la campagne la nuit, leur apporte son aide. Parfait, mais son instinct la détourne parfois, souvent, de ses objectifs. Il faut sans cesse la rappeler à ses obligations. Son aide est inefficace. Peut-être plus tard, plus loin, accompagnée. Après diverses tentatives infructueuses, chacun trouve sa voie.

Djalesh briguera un poste au sein des gardes de la ville, un poste élevé, cela va sans dire, à moins qu’il ne rende service à la Guilde des autres en tant que « dénicheur » dans les marais ou convoyeur de marchandises vers les grandes villes environnantes. Des postes taillés à sa mesure. Non ! Dans ce cas, le poste de garde haut placé conviendra.

Shade…. sa beauté naturelle ne pouvait laisser indifférente les membres de la Guilde des prostituées. De proche en proche, la voici auprès de Mazzeline, qui n’est autre que la responsable de cette guilde. D’abord une mise à l’essai dans le quartier Fluvial, quartier peu fréquentable s’il en est. Bien sûr, elle sera préservée, bien sûr, il importe qu’elle garde sa fraîcheur et qu’elle ne se flétrisse pas trop vite. Juste une mise à l’épreuve de quelques jours et si tout se passe bien, elle sera présentée plus haut en tant que denrée rare. Les gens de la Haute sauront l’apprécier.

MF-Level 13-6, monoclassé