Les questions s’égrènent une à une. Inlassablement, la Maîtresse-démone répond d’un air docte et patient. Une légère élévation dans l’intonation de sa voix trahit parfois son agacement et son irritation. On sentait l’habitude du professeur pressé par ses élèves dissipés et étourdis. Chaque question, mille fois posées déjà, apportait une réponse nette et sans ambiguïté. Un à un, les objets quittent leurs détenteurs pour rejoindre leur heureuse propriétaire. Enfin, le flot se tarit. Dépossédés de leurs biens, les Princes-démons se taisent. La présence qui occupait les lieux s’étiole lentement, pour se dissoudre dans les mondes éthérés.
Ils laissent le brownie et les prêtresses à leurs occupations et gagnent les rives floconneuses du marais. Le vacarme les assaille. Assise sur un monticule de terre, Mashie, la barbare, les attend. Elle martèle le sol avec l’un de ces roseaux de Noln aux vertus si spéciales. Son air s’illumine quand elle les voit arriver. Elle se lève ravie, abandonnant son instrument de percussion de fortune, et leur réserve un accueil digne d’un chien qui retrouve son maître après une longue absence. Que cache cet être rustre aux allures gauches ? Pourquoi les accompagne t-elle ? Est-ce l’attrait de la nouveauté ? La curiosité ? Rustre, sans doute, mais d’une redoutable efficacité pour se déplacer sur ces chemins sinueux aux tracés délétères qui se croisent et s’entrecroisent, qui se multiplient dans toutes les directions, qui disparaissent pour se reformer quelques dizaines de mètres plus loin. Sans elle, ils ne seraient jamais parvenus à destination.
Peu à peu, l’atmosphère des marais se modifie. La brume phosphorescente cède la place à un brouillard dense chamarré d’or et d’argent. De fines particules flottent dans un air saturé provoquant éternuements, difficultés respiratoires, étourdissements et hallucinations. La visibilité est réduite. Du sol fangeux s’échappent d’épaisses fumerolles sombres fusionnant avec la brume native de Noln. Un combat s’est engagé, une lutte entre deux mondes dont on ignore l’issue. Ici et là, des masses d’eau se gonflent et explosent dans un concert assourdissant. De larges trous d’eau s’ouvrent, des siphons aspirent tout objet non solidement accroché. Parfois, sans que rien ne l’annonce, le vent se lève, aussi violent qu’inattendu, balayant d’un trait tout ce qui lui résiste. Chaque nouvelle bourrasque soulève un nuage de particules, obscurcissant davantage les lieux. Dans ces conditions, la progression est pénible, voire lors des états paroxystiques, impossible. La végétation carbonisée dépérit, les feuilles sont racornies, meurtries par la corrosion. Seules les épines menaçantes des buissons décharnés ont résisté à l’agression. Les animaux ont déserté les lieux.
Non pas tous. D’horribles crapauds difformes, pâle copie des puissants crapauds de Noln, font irruption. Le corps enduit d’une pellicule d’argile au reflet d’or et d’argent, ils se dressent sur leurs pattes musculeuses disgracieuses, puis retombent dans la fange. Les yeux exorbités, muent par une énergie prodigieuse que l’on attendait pas chez des créatures aux membres désarticulés, ils fondent sur eux. En proie à des souffrances inouïes, rendus fous par l’acide qui les ronge, ils se jettent sur la vie qui palpite devant eux.
MF-Level 13/12-1