Éveil le vigilant, Éveil le discret, … que lui arrive t-il pour qu’il déverse ainsi sa morgue et sa hargne envers Djalesh ? La proximité de son foyer libérerait-elle une rancœur trop longtemps enfouie ? Ces deux-là en resteront là pour l’instant mais bientôt un livre entier ne suffira pas à inscrire tous les noms des ennemis de Djalesh… S’il ont bien compris la teneur de la discussion, l’âme de Mosaûl devrait, pour une raison mystérieuse, accompagner Éveil pendant leur séjour sur le Royaume des ombres

Ils émergent d’une large trouée sombre et dense aux bords irisés bleuté. Des visages déformés de créatures fantastiques tavellent la trouée. Parfois l’un d’entre eux tente de s’extirper de l’enveloppe qui la retient, mais maintenu par un lien invisible, il se fond dans la masse un peu plus tard.

Il fait frais ici. Le ciel, sans lune ni soleil, revêt une teinte gris-souris hétérogène. Des écharpes de brume flottent dans les airs, se mélangent et se séparent dans un balai continu. Les ombres ondoient, fusionnent, se déchirent au point qu’il devient impossible pour un non initié de discerner parmi ce concert d’ombres celles réelles de celles chimériques. La confusion est totale. Le sol est de couleur gris plomb virant à l’acier. De consistance souple, il devient par endroit spongieux au point qu’il n’est pas rare de voir disparaître ses pieds, noyés sous un épais matelas de brume. Une forêt clairsemée s’étire à l’infini sur 360°. Tous les arbres sont de la même essence. Ils atteignent une hauteur maximum de quinze mètres. Leur tronc est étroit, lisse et droit. Ils ondulent. A croire qu’ils participent à une danse lente et hypnotique. Les premières feuilles naissent à environ cinq mètres du sol et leurs nervures centrales blanches zèbrent l’espace au gré des mouvements des branches et des troncs.

C’est avec ravissement que Shade, ou Sahde, redécouvre cet environnement familier bien qu’il lui faudra du temps pour se souvenir de toutes ses subtilités. Le chatoiement des lambeaux d’ombres qui se lovent autour de son corps, la sensation de légèreté et d’apesanteur, le doux murmure des innombrables voix qui la bercent et l’enivrent, tout l’enchante… Ce n’est pas l’avis de Djalesh qui tangue et qui tente de s’accrocher désespérément à quelque chose de tangible mais comment ne pas succomber à cet environnement instable et déconcertant. Il s’allonge sur le sol.

Trois silhouettes fantomatiques -sans doute ces Whôls, les gardiens des portails- s’approchent de Sahde. Cette dernière se porte garante pour celui qui gît à ses pieds et si ce « corps étranger » devait s’éloigner d’elle ou commettre l’irréparable, elle en supporterait toutes les conséquences… tout le monde sait ici que les Whôls sont friands de la substance des ombres.

Tandis que Djalesh essaie de s’asseoir une créature qui a tout l’air d’une autruche miniature se dirige vers eux, dodelinant son long cou d’un côté et de l’autre. Ce volatile aurait-il des intentions belliqueuses ? Shade s’en occupe. Il ne faut pas compter sur son compagnon en proie aux pires tourments. Enfin, dans un dernier soupir, son opposant rejoint le cortège des ombres. Victoire !!! Djalesh se redresse. Il s’appuie sur le « bout de métal » désormais sourd et muet qui montre enfin son utilité.

Des arbres. Des arbres à l’infini. Rien d’autre. Ils avancent. L’une voltige guillerette dans les airs, l’autre ahane bruyamment, claudique et grommelle. Ce couple mal assorti fait pâle figure. Les rencontres inopportunes se succèdent. Un démon des ombres quasi invisible se moquent d’eux, des lions munis de larges ailes essaient de les dévorer, un ours massif doté d’un bec acéré espère les broyer.

Que dire de cet humain tout de noir vêtu qui se cure les ongles tandis qu’ils affrontent leurs ennemis ? Il reconnaît Sahde. La salue. Exprime de la déférence… et ignore ostensiblement le « tas » qui a l’impudence de s’exprimer. S’en est trop pour cet homme outré par tant d’audaces. Pour qui ce malvenu se prend t-il pour oser lui couper la parole. L’homme assène une violente gifle à Djalesh. Abasourdi, le regard noir, Djalesh fixe son agresseur. Dans toute sa carrière d’aventurier, cela ne lui était jamais arrivé. Qui ose ? Qu’importe son état. La suite, on la connaît. Les coups pleuvent et l’homme s’en va rejoindre le flot des ombres. Après cet interlude, il n’y a plus qu’à repartir.

Une colonne d’orcs chemine vers une destination inconnue. Ils fuient la zone instable de la forêt pour gagner une région moins sujette aux turbulences. Ces orcs guère futés savent au moins où se diriger. Djalesh et Shade décident de les accompagner. Pas de chance. Trois trolls mettent un terme à ce cortège improbable. Les orcs s’éparpillent…

Après un combat ardu, leurs éclaireurs ont disparus. Au demeurant, les habitants du royaume sont plus coriaces que sur Almagamo. Le temps de l’errance reprend son cours. Pas sûr car Sahde commence à discerner dans ce flot d’ombres des écharpes de brume plus sûres. Le démon d’ombre n’avait pas menti. Il existe bien des bancs d’ombre stable parmi d’autres instables ou inversement, une question de point de vue. Il faudra un peu de temps pour qu’elle retrouve ses sensations et parviennent à s’y retrouver. Juste une question de temps.

MF-Level 15/15 -1