Ils longent la rivière à la recherche d’un hypothétique esquif. Une ombre compacte décrit des arcs de cercle dans le ciel plombé puis fond sur eux. Un dragon d’ombre. Voici l’ombrage, l’actuel roi d’Ombralie. Il revêt une forme plus commode pour s’adresser aux communs des mortels. Ce lézard massif de deux mètres de haut se tient presque debout, arc bouté sur sa queue qui s’agite et fouette le sol avec vigueur. Des petits yeux blancs exorbités dans une tête oblongue et allongée toisent ses interlocuteurs. Des crocs proéminents et des griffes prononcées n’augurent rien de bon. De larges veines sillonnent ce corps aux écailles lustrées d’où s’épanchent une substance purulente. Cette créature arrogante et imbue d’elle-même attend un présent à la hauteur de son inestimable grandeur. Comment Sahde a-t-elle pu l’oublier ?

  • « Que nenni, Messire… je cherche, je cherche… comptez sur ma célérité pour vous l’apportez en main propre ».
  • « Ah, bon, voilà qui est mieux… cherchez, cherchez »… alors, le grand roi d’ombre déploie ses ailes immenses, prend son envol et s’élance dans les cieux.

Djalesh a entrepris -car il faut bien entreprendre quelque chose- de s’élever dans les airs. Mal lui en a pris car il tombe dans les bras d’une charmante dryade qui n’en demandait pas tant. 4 autres dryades émergent des branchages et dévorent des yeux ce personnage appétissant. Une nouvelle contrariété qui vient s’ajouter à beaucoup d’autres. Sahde vole à son secours. Au moins auront-ils appris la localisation de la conque.

A quelques encablures, deux pics d’origine minérale pointent de la forêt. Ils se rejoignent à leurs sommets en décrivant une arche naturelle. Des monceaux de gravats jonchent le sol. C’est dans cet endroit plaisant que des cyclopes s’égaient, chacun lançant son bloc. Apercevant de nouvelles cibles mobiles, une pluie de projectiles s’abat sur les deux insectes volant. Les insectes se rebellent et repoussent aisément ces gros lards.

Non loin, une structure à l’allure d’un gigantesque carabe long d’une soixantaine de mètres et haut de plus d’une quinzaine de mètres s’est écrasée dans la forêt. Des arbres ont été projetés ou écrasés par la masse de l’engin. Cette chose est recouverte d’une chitine sombre hérissée de piquants. Sous une coupole de verre, une dizaine de fauteuils et de balistes sont encastrés sur la crête de l’animal. Serait-ce la conque migratoire ?

Quatre personnages s’affairent au sol. Une fée aux longs cheveux verts sautille et virevolte tout en haranguant un gnome agenouillé occupé à trier et ranger des débris rocheux dans des sacoches. Un druegar souffreteux et tremblotant peste contre ce monde sournois et s’emporte contre la fée. Enfin une créature de pierre colossale munie de trois pieds et trois bras avalent de larges blocs puis les recrachent devant le gnome. Ce quatuor ne s’est pas préoccupé du combat qui s’est déroulé à une centaine de mètres de lui, ni n’attache d’importance à l’arrivée des deux compères. Ces membres sont pressés. Il faut croire que cela urge. Enjoignant les nouveaux venus à les rejoindre, ils emballent le tout précipitamment puis se dirigent vers l’opercule qui s’est ouvert du côté de la face avant du carabe. La troupe s’engage dans un sas.

Les parois de l’habitacle sont constituées d’une peau membraneuse souple de couleur claire dans laquelle sont incrustées des joyaux multicolores -les fameuses raies du soleil et de la lune-. Le sol est granuleux et crépite sous leurs pas. Les plafonds, guère plus haut de trois mètres, sont constellés de ces joyaux tandis que des globes lumineux s’allument à leur passage.

Ils retrouvent les membres permanents de l’équipage. Que de visages connus. Ceux sont les mêmes que le personnel de l’Auberge rouge. La délicieuse Mona, la vampire ; l’arrangeant intendant Enoden ; Vorac et Vorni les gnomes, véritables hommes à tout faire ; la souriante et affable Célène ; Arsh, le cuisinier grognon ; Noeden, le forgeron, le druegar qu’ils ont aperçus dehors il y a peu ; enfin l’impressionnant Troll Xathor. Un peu plus tard, ils rencontrent l’Etranger, le pilote de l’appareil secondé assisté ou accompagné -à vrai dire, cela n’est pas clair- d’un étrange personnage au sexe indéfinissable et au nom imprononçable, d’Enocqu Ortagrimie. Ils ont été acceptés en tant qu’invités. On leur attribue une chambre, la dernière car les autres sont déjà occupées par des convives. Vorac et Vorni l’aménagent à leur gré.

La conque allie confort et fonctionnalité. Elle est découpée en quatre niveaux. Ils ont déjà remarqué de loin l’étage supérieur. Le pont intermédiaire comprend la grande salle commune ainsi que la cuisine et les appartements des serviteurs, Célène, Arsh, Vorac et Vorni. L’espace central, véritable lieu de vie, est destiné aux invités, aux officiers et commandant de bord. Enfin, le niveau inférieur, le cargo, contient la salle des machines -c’est-à-dire une écurie spéciale occupée par quatre chevaux élémentaires qui tractent la conque-, divers entrepôts, des prisons et les quartiers du forgeron Noeden.

L’Étranger convie les différents membres de l’équipage et les invités à une réunion de travail. L’heure est grave. Il s’agit de décider de la marche à suivre. Tout le monde est là. Outre Enocqu, Enoden, Noeden et Mona, sept invités assistent au débat : Masaulaé, Draghisla, Halincourt, Li-Ann, Shade, Djalesh et Liacinah.

Ils écoutent, ou devraient écouter, religieusement l’Étranger lequel arpente le salon l’air pensif les mains derrière le dos. Son monologue est régulièrement interrompu par les bonds impromptus de Li-Ann qui ne peut s’empêcher de sauter de son fauteuil, par les quintes de toux de Noeden, les bruits d’aspiration du bibliothécaire qui boit une décoction maison, les commentaires désobligeants de Draghisla, les fulgurances décalées de Liacinah auxquelles réplique invariablement Enocqu d’un lapidaire « c’est exact », suivi du « poursuivez cher ami » de Mona tandis que Masaulaé renchérit par son sempiternel « nous n’y arriverons jamais », tout en prenant sa tête des deux mains l’air accablé.

Le discours de l’Étranger:

« Rappelons tout d’abord deux données d’importances. D’abord, nous sommes en panne d’essence. Les raies de soleil et de la lune ont été consommées lors d’un choc que nous avons subi à notre arrivée sur Ombralie. Une force nous a percutés, volontairement ou non, dont la source nous plonge dans l’expectative. Ensuite, il semble que l’ombrage actuel, le shadow dragon Ombanel, bénéficie d’un soutien redoutable dont on mesure mal les intentions. Il s’agit du nécromancien Agolzith.

Un peu d’historique maintenant. La conque migratoire a été sollicitée par Masaulaé pour une intervention dans le Monde des ombres jusqu’à la Nome de Masérie. Masaulaé notre commanditaire a perdu son ombre. Mazica, une démone a jadis sauvée Masaulaé d’une dissolution dans les ombres. En contrepartie, Masaulaé a subit un long calvaire, et fut contrainte d’accompagner cette démone dans un voyage initiatique dont nous tairons l’inconfort et la pénibilité. Masaulaé parvint à déjouer l’attention de Mazica et à se libérer de sa servitude. Elle estime qu’il est temps qu’elle rende visite à son ancienne geôlière. Elle compte aussi faire valoir ses droits en reprenant sa place. Ne fut-elle pas l’ancien ombrage de Masérie ?

Pour parvenir à ses fins, il est nécessaire qu’elle s’empare du « Livre des âmes » dont l’un des points d’ancrage se trouve sur Masérie. Elle pense pouvoir le localiser. Ce livre contient une empreinte des différentes âmes ayant transitées par cette Nome. Cela explique la présence de notre ami le bibliothécaire, Halincourt (lequel, soit dit en passant, dirige la « Guilde des magies » et le « Cabinet des savoirs » d’Enoos). Il serait l’une des rares personnes des mondes faillés capable de lire ce livre, de résister à son sortilège qui a pour effet de consumer l’âme du lecteur, d’en comprendre le sens et d’en tirer la substance. Avec ce livre, on localisera Mazica et on l’enchaînera. Masaulaé récupérera son ombre.

Draghisla accompagne sa sœur bien que, comme beaucoup ici, elle n’apprécie pas l’endroit. Li-Ann, l’exploratrice de l’Ordre d’A’nHexa, curieuse par nature a proposé son aide dans cette opération. Son essence la protège des incommodités de ce monde et son adaptabilité et ses connaissances en font une alliée précieuse. Comment ne pas être insensibles aux deux nouveaux venus, dixit Shade et Djalesh qui nous exposerons les raisons de leur venue. Entre personnes raisonnables, il doit être possible de s’accorder. Enfin reste Liacinah… Liacinah… Humh, ». L’Étranger hausse les yeux au ciel. « Cette jeune femme est arrivée parmi nous peu avant la venue de Shade et Djalesh. Évidemment, compte-tenu de sa nature, humh… elle s’est immédiatement rapprochée de Li-Ann. Cependant, nous savons peu de chose sur elle et ses explications sont confuses. Je n’aime pas ça.… » Ce faisant il se tourne vers Enocqu lequel le regarde l’air narquois sans rien dire… Shade et Djalesh connaissent ce genre d’attitude. Un exemplaire similaire réside à la maison… »Bien, je vois, à vrai dire, Liacinah demeure une énigme pour moi et je me perds en conjoncture… si cela ne tenait qu’à moi, je me serai opposé à sa présence dans mon navire. Mais, voilà, nous avons reçu une injonction on ne peut plus claire émanant du Maître des ombres. L’identité du rédacteur de cette missive ne souffre d’aucune contestation. Ce maître nous demande de recueillir la jeune femme. Dans la mesure où nous sommes chez lui… comment refuser. Nous pourrions bien sûr, nous pourrions… mais que de contrariétés à venir. Les présentations ont été faites. Je vous écoute. »

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