Qu’attendre de l’auditoire ? Mona essaie de coordonner les débats mais la tâche s’annonce ardue. Li-Ann bondit de son siège, virevolte, se rassied, se relève. Liacinah manipule le bidule trouvé inopinément à ses pieds. Draghisla s’en moque. Halincourt est parti emportant sa tisane dans sa chambre. Shade et Masaulaé sont sorties et conjuguent leurs efforts afin de repérer « la cité des morts ». Les deux femmes rentrent bredouilles. Le Dragôn observe l’air hautain cette agitation dérisoire autour de lui. A croire qu’il ausculte de misérables insectes. Quant à Djalesh, il maugrée et marmonne à qui veut bien l’entendre qu’il faut agir vite et bien, sans fioritures, ni discours rébarbatifs. Ce qui, connaissant l’énergumène, signifie qu’il s’agit d’éliminer, sans coup férir, tout le monde, peu importe dans quel ordre, l’ombrage, le nécromancien et tous ceux qui auraient l’outrecuidance de s’opposer à lui. Il suffira par la suite d’installer Éveil sur son trône. Le nouveau roi leur indiquera l’emplacement du « ventre du monde » ainsi que la porte qui mène vers la Nome de Masaulaé, Masérie. Élémentaire. De son côté, l’Étranger attend patiemment des directives claires et précises de ses invités… On l’aura compris, celles-ci ne sont pas prêtes d’arriver de sitôt.
Le bibliothécaire est revenu transfiguré. Ce gnome de grande taille bien que légèrement voûté s’appuie avec prestance sur un sceptre d’ivoire renforcé d’armatures de métal et serti de joyaux. Habitué semble t-il à évoluer dans un tel registre, il s’assoit l’air décidé, extraie d’une poche invisible un vélin, prend la plume et liste les différentes possibilités qui s’offrent à eux. Chaque proposition est décortiquée avec attention. Ces attitudes péremptoire et autoritaire ont le don d’agacer Draghisla et Djalesh. Ce personnage docte à l’allure sévère les considère comme ses élèves et il attend d’eux toute leur attention.
Shade cherche Liacinah laquelle a tendance à s’éclipser quand on a besoin d’elle. Elle sillonne la cale qu’ils n’avaient jusqu’alors pas visitée. Des entrepôts, le forgeron, des Xorns, des prisons occupées, les écuries. A ce propos, quelles merveilles ces chevaux élémentaires, tout à la fois moteurs de la conque et aspirateurs des Raies de Lune et du Soleil. Ils dégagent une puissance et une noblesse qui rendraient jalouses les plus belles montures des Mondes faillés, Nightmares y compris. Ah, la voici ! Cette peste attendait insouciante dans la salle commune. Étrange qu’elle ne l’aie pas vue auparavant.
Shade se mue en apprentie sorcière. Elle souhaite vérifier une hypothèse qui la taraude. L’objet de Liacinah, ce casse tête qu’elle n’a de cesse de manipuler dans tous les sens, ressemble étrangement à celui fabriqué par Suniel lors d’une récente échappée. L’entreprise est couronnée de succès ! Liacinah tripote l’objet, exécute une succession de permutations / rotations complexes qu’elle accomplit naturellement… et les ombres, sous sa baguette experte, sautillent de joie. Seuls des natifs de ce monde sont capables de réaliser de telles prouesses. Dans la foulée, Liacinah annule les désagréments mineurs qui affectaient Djalesh sur le royaume des ombres. En guise de remerciements, ce dernier esquisse un sourire. Une attitude suffisamment rare pour la noter dans les archives.
Halincourt a consulté ses grimoires et leur fait part de ses découvertes. Le nécromancien Algozith serait un ange, un tome Archon légendaire, au service de celui que l’on appelle la « Graine de vie », c’est-à-dire, le Maître-démon Niahael, créature quasi-divine vouée à la régénérescence. Algozith soustrait les morts de leurs noires torpeurs, les extirpe des miasmes obscurs et putrides et leur offre une nouvelle chance de s’émanciper. Dédalie aurait été, dans un monde inconnu du bibliothécaire, une cité d’une grande importance vers laquelle les habitants se pressaient pour ranimer leurs proches.
L’équipée s’organise. Après de longues négociations, ils formeront deux groupes. Le premier, constitué de Li-Ann, Draghisla, Noeden et Mina aura pour mission de rapporter des Raies de Lune et de Soleil tout en détournant les regards d’Ombanel du second groupe. Le second, constitué de Shade, Masaulaé, Liacinah et Djalesh se dirigera vers Dédalie pour discuter ou affronter Algozith.
Éveil leur envoie une guêpe de l’ombre afin de les conduire à Dédalie. Cet insecte est considéré comme l’un des meilleurs messagers de ce royaume. Le traceur s’envole et fonce vers sa destination finale sans attendre le groupe. Ils parviennent non sans mal à le suivre jusqu’aux abords de la cité.
Une surprise les y attend. Cet endroit ne figure pas sur le royaume des ombres. Une plaine aérée et stérile jaillit du sol et écarte, du fait d’une magie inconnue mais puissante, les murs d’ombres qui l’assiègent tout autour. L’atmosphère de cette enclave de plusieurs km2 irradie la bonté. Des monticules de pierres récemment entassés jalonnent les chemins poudreux qui serpentent parmi les ruines de l’ancienne cité. Quelques rares arbres squelettiques s’accrochent au sol, des broussailles épineuses hostiles végètent tandis que le règne animal fuit cet espace inhospitalier.
Trois secteurs attirent leur attention. Tout d’abord, ils aperçoivent un dolmen entouré de gravas et de débris en tout genre. Des rouleaux de parchemins, des outils de maçons et des instruments d’architectes sont disposés sur une table en pierre. Un peu plus loin, un arbre solitaire d’une dizaine de mètres de hauteur domine ce terrain infertile. Une femme à la peau écarlate incarne un tronc noueux et tortueux. Elle tend ses bras arachnéens vers le ciel et les ramures dessinent de jolies arabesques. Trois hommes et une femme dévêtus sont suspendus par des lianes à ses branches vert olive. Enfin, plus à l’est, un cercle d’une trentaine de mètres de diamètre composé de neuf menhirs entoure une créature de chair d’environ trois mètres de haut. Ses traits sont imparfaits. Ses membres cagneux fuient son corps grossier et imposant et se tordent comme si elle était en proie à une douleur insoutenable. De nombreuses runes dorées rappelant l’arbre solitaire tavellent son torse épais. Cette créature est nantie d’une aura indéfinissable et monstrueuse.
Un humanoïde de grande taille et à la tête d’aigle émerge du dolmen. Ce doit être Algozith. Ses yeux opalescents, deux opales blanches incrustées dans un visage lisse au teint cuivré, exprime une gentillesse quasi-irrespirable pour ses interlocuteurs. Indifférent à leur accoutrement, ce personnage maniéré les reçoit avec affabilité et leur dépeint la ville qu’il reconstruit peu à peu. Ce travail de titan ne l’effraie pas. Sait-il à qui il a affaire ? Rien dans son attitude ne laisse le supposer.
C’est alors que Liacinah, assaillie par une pulsion soudaine, se saisit de son objet. Ses doigts s’agitent et balaient le kaléidoscope avec dextérité, extraient axes, tiges et baguettes de leurs niches. La machine se met en branle et déroule son implacable mécanisme. Le temps s’écoule au ralenti. Soumis à une contrainte invisible, l’air se contracte ; leur vue se trouble et un son strident déchire l’atmosphère… Le ciel s’obscurcit et de larges écheveaux d’ombres vomissent leur noirceur sur un monde jadis épuré. L’enclave a disparu, rattrapée par le royaume des ombres qui l’engloutit avec avidité. Une ombre, plus noire que la nuit, à l’aspect vaguement humain s’abat sur l’infortunée créature de chair et en l’espace d’un instant la pourfend. Le bourreau a accomplit son œuvre. Assassin et victime s’évanouissent.
Alors… alors le visage du nécromancien se déforme. Cet être connaît donc la haine. Il s’ensuit un combat acharné et confus. Aux démons invoqués par Masaulaé, répondent les anges convoqués par le nécromancien. Et Algozith, cet être qui exploite la régénérescence comme d’autres cultivent la maladie s’avère coriace et quasi indestructible. Leur opiniâtreté aura raison de lui. Les voici débarrassés d’un encombrant fardeau.
MF-Level 15/15-4