Dix jours d’attente. Un temps suffisant pour connaître le fidèle serviteur de Djalesh, le gnome Ocra, pour découvrir le complexe et imaginer les aménagements à accomplir. Djalesh récupère lentement dans les bras d’Anouk, à raison d’un niveau volé par jour. Le gnome prépare le rituel pour invoquer Sandomn, Shade et Ligeia s’entraînent, se promènent sur l’île de la solitude qui n’a pas usurpée son nom, s’ennuient.
L’appel de Sandomn
Enfin. Tous les astres sont alignés. Ils se dirigent de nuit vers le cœur de l’île, lieu impie par excellence. Ils cheminent sur le sentier empierré parmi les arbres de pierre et pénètrent dans l’enceinte d’ossements. Ils sont surpris une nouvelle fois par ce silence qui les accable, un silence sépulcral, morbide. Le gnome se place au centre, face à l’autel construit à partir du bassin d’un cyclope qui doit accueillir la Reine des spectres. Ocra déroule un long parchemin suranné, vieilli par les âges et amorce sa lecture. Les cinq socles surélevés en marbre s’éveillent, les poltergeits apparaissent -ces esprits maléfiques frappeurs- le cercle d’arbres se resserre, la muraille d’os s’anime remplacée par des dizaines de golem de pierres et de squelettes géants, la voix du gnome s’élève, les branches des arbres se heurtent, les poltergeists dansent, l’autel s’illumine. Ils ne sont plus seuls. Une présence nouvelle émerge. Une femme translucide aux longs cheveux blancs flotte au-dessus de l’autel éclairé. Sandomn, la reine des spectres, générale en cheffe de la faction immatérielle sur le monde des morts. D’allure svelte, d’une beauté mystérieuse étrange, elle pose ses yeux caves vers eux. Une voix douce mais dénuée d’ambiguïté les tire de leurs rêveries.
Que voulez-vous? S’ensuit une discussion qui ressemble à une partie d’échec, chacune des parties tente, espère bénéficier d’un avantage esquissé. Ils souhaitent approcher leur vieil ami Angrimm sans l’alerter. La Reine des spectres voudrait les invoquer. Djalesh aspire à apprendre la magie nécromantique. Sandomn entrevoit l’avenir, imagine l’après. S’il devenait le futur «Commandeur des morts» qui fait défaut aujourd’hui, qu’adviendra-t-il? Entouré par sa Reine imprévisible et son Sceptre meurtrier, elle souhaiterait qu’il n’oublie pas l’aide qu’elle lui apporte aujourd’hui.
Ces exigences nécessitent la rédaction d’un contrat rigoureux qu’ils rédigeront à leur retour des Marais entachés. Dans cet endroit putride, à l’ouest d’Enoos, réside une créature, une annis, son obligée, autant repoussante que puissante. Elle se nomme Fallagorn, une des plus puissantes nécromanciennes des Mondes faillés.
Se moquant de toute convenance, DeciLoin apparaît au cœur du cénacle. Ils constatent que ces deux-là se connaissent. La visite chez l’annis constitue l’un des éléments de la quête de l’île de la solitude, assène-t-il. Je vais vous y conduire et je vous ramènerai ici par la suite.
Le décor change. A la froidure de l’île et son désert, succède une ambiance chaude et humide, où croassements et bourdonnements se disputent la primauté du tapage. Ils font face à une entrée d’une grotte logée dans un monticule irrégulier de faible dimension envahit par une végétation touffue. Devant l’entrée, ce ne sont que ruines et désolations. Des ossements jonchent le sol marécageux, des bras et jambes partiellement rongés appartenant à divers humanoïdes reposent dans les eaux saumâtres, une main émerge d’une mare de boue. L’odeur nauséabonde de chair en décomposition les assaille…
Assis sur un rondin de bois, un troll à la peau laiteuse ronge un tibia avec délectation. Il n’esquisse pas le moindre mouvement à leur arrivée. Ils s’engouffrent dans l’antre de l’annis, redoutant le pire. Le pire est là.
Une créature de grande taille qui mériterait d’être honorée des palmes de la laideur et de la puanteur cuve son vin, avachie sur un banc, les coudes enfouis sous une montagne de déchets. Elle baigne dans son vomi et s’y complaît. Elle crache, se mouche dans sa robe qui relève plus de la serpillière, rôte, boit à nouveau, expulse on ne sait quelle offrande de ses entrailles sur la monticule de déchets à moins que cela ne soit ses excréments.
Fallagorn n’est pas en capacité d’intercéder à sa demande aujourd’hui. D’ailleurs elle a faim. Ils se précipitent pour lui offrir l’elfe que Silune leur a apporté sans cacher son mécontentement à leur égard. Cela promet de joyeuse retrouvaille entre frères et sœurs. La pauvre. Elle devra réitérer plusieurs fois l’opération car la nécromancienne est un gouffre. Elle réclame de la nourriture fraîche. Toujours plus. Une nourriture digne d’être avalée par Fallagorn qui dévore autant qu’elle boit. Demain alors. Qu’ils reviennent demain, il faut qu’elle se prépare.
Le rituel de Fallagorn
Ligeia et Shade attendent dehors. Djalesh et Fallagorn franchissent un mur illusoire, laissent derrière eux une large pièce encombrée par d’innombrables bocaux, barriques et récipients en tout genre, puis descendent dans les profondeurs de la grotte. Dans une caverne faiblement éclairée par deux braseros souffreteux, la nécromancienne amorce le rituel. Heureusement, elle semble plus alerte qu’hier. Elle est assistée par une momie maladroite mais efficace.Les bras en croix, Djalesh est aimanté -c’est le terme- à deux poteaux recouverts de runes funéraires. Il observe à ses pieds le même type de runes dessiné sur le sol. En face de lui, le cadavre d’un homme mort est accroché les bras en croix à des poteaux similaires aux siens. Tandis que Fallagorn lit un parchemin, la momie enduit le cadavre de l’homme d’un liquide sirupeux sombre écœurant. Djalesh ressent des tiraillements le long de son échine, l’impression désagréable qu’une main fouille l’intérieur de ses entrailles. Sa tâche accomplie, la momie remonte les escaliers.
Shade et Ligeia aperçoivent la momie sortir de la caverne. Elle leur fait signe de reculer de quelques pas. Non, cela ne va pas. Elle compte les pas sur le sol. Vingt pas. Ils se sont éloignés d’une quinzaine de mètres de l’entrée. Satisfaite, elle retourne d’où elle est venue. Un nuage épais et opaque recouvre peu à peu le tumulus pour s’arrêter à deux trois mètres de la marque désignée par la momie. Ils reculent encore. Le nuage englobe le tumulus de l’annis. Un nuage qu’il vaut mieux éviter… Ils entendent des cris forts, des hurlements plutôt, provenant de l’intérieur. Ils reconnaissent la voix de Djalesh mêlée à une autre voix d’homme. Djalesh sombre dans l’inconscience.
Puis le silence. Le nuage s’étiole. Ligeia et Shade entrent dans la grotte et franchissent le mur illusoire. Dans une grande pièce qui fait office de débarras, ils distinguent Fallagorn et la momie occupées à on ne sait quelle tâche énigmatique. Ils examinent la scène. La momie tient une jarre en céramique volumineuse avec une de ses mains bandées. Fallagorn verse le contenu d’un flacon opaque dans la jarre. Elle saisit une urne en bronze, plonge sa main à l’intérieur et en extraie une poudre oranger qu’elle jette négligemment dans la jarre.
Fallagorn et la momie redescendent, sans leur prêter attention. Ligeia et Shade les suivent. Dans une caverne aux contours irréguliers d’où s’échappe une fumée âcre incommodante, ils aperçoivent Djalesh inconscient, maintenu les bras en croix entre deux poteaux illuminé par une lumière noire fuligineuse. Il paraît sans vie. Ou plutôt, en guise de Djalesh, c’est une simple coquille vide qu’ils découvrent. Le cadavre d’un homme en face de Djalesh est maintenu accroché à deux poteaux identiques à ceux de Djalesh. Il s’agite, beugle, injurie la momie… ce cadavre souffre. La momie n’en a cure. Elle l’enduit de la pâte gluante qu’elle puise de la jarre. Elle le badigeonne entièrement. Elle s’y reprend à plusieurs fois, sous le regard agacé de Fallagorn. La momie a fini. Fallagorn reprend la lecture du parchemin. Une bulle de petite taille de nature identique à celle qu’ils ont vue à l’extérieur se forme entre Djalesh immobile et le cadavre remuant. L’homme redouble ses cris. Djalesh est parcouru de soubresauts. La bulle grossit.
Ligeia et Shade se précipitent à l’extérieur et regagnent la marque laissée par la momie. Alors que la bulle enveloppe à nouveau la totalité du tumulus, ils aperçoivent le cadavre de l’homme émerger de l’entrée de la grotte. Il court, hurle et s’enfuit dans les marais. Ses hurlements résonnent longtemps dans le lointain.
Le nuage opaque s’étiole à nouveau. Ligeia et Shade pénètrent dans l’antre de la bête… Fallagorn est attablée devant un monceau de victuailles et de bouteilles. Elle boit, elle se bâfre. Elle a faim. Ils lui apportent de quoi l’apaiser puis descendent rejoindre Djalesh. Il est épuisé. Sans force, vidé de son énergie… mais vivant et lucide. Enfin, vivant, c’est une façon de dire…
DeciLoin arrive et les ramène sur l’île de la solitude. La quête est terminée. Djalesh reçoit son atavofigure. Il faudra attendre une quinzaine de jours afin qu’il recouvre ses forces. Largement suffisant pour rédiger le contrat avec Sandomn.
7/12/24