Les marches de l’escalier se dérobent sous leurs pieds. Peu importe, ils ont de la ressource. En-dessous, ils aperçoivent une pièce circulaire partiellement immergée d’environ trente mètres de diamètre et douze mètres de hauteur.
Description de la scène :
Un personnage identique à celui de l’étage supérieur flotte dans une structure cubique en verre de trois mètres de côté de couleur rouge coquelicot intense. Cette prison de verre est posée sur un miroir circulaire un peu plus large. Non loin, une naïade aux cheveux de saphirs se baigne dans les eaux d’une fontaine en nacre rose. Un liquide gris plomb moucheté de perles argentées d’environ un cm de diamètre occupe la partie centrale de la pièce, en englobant la fontaine, le miroir et la cage.Trois tentures occupent les murs Nord, Est et Ouest:
- La plus grande, au nord, de couleur lavande à l’aspect plastifié envahit la totalité du mur. Des motifs en bronze zèbrent la tenture et révèlent l’esquisse d’un homme d’une soixantaine d’années, livide, à l’aspect décharné et fragile, au regard hagard un peu fou. Il est vêtu d’un linceul bleu nuit lacéré en lambeaux. Exalté, la bouche torve, les yeux rivés vers la cage, il brandit un objet, un sceptre peut-être, face à lui.
- Le rideau à l’ouest de couleur noire de suie, un simple drap semble-t-il, occupe quelques mètres du mur. Des franges pendent sur le sol et se balancent comme si elles étaient soumises à une légère brise. Si l’on regarde plus attentivement, le rideau lui-même est agité, ses plis dessinent des sillons qu’une personne impressionnable assimilerait à des marques de dents qu’auraient laissées une immonde créature.
- Enfin, le rideau à l’est, de nature grossière, une sorte d’étoupe rapiécée couleur crème virant au beige sale, et, bien que large de quelques mètres seulement, paraît épais, lourd et compact.
Ils descendent lentement. Au sud, un élévateur aurait pu les déposer en douceur. Encastrée dans la pièce principale, ils remarquent une chambre funéraire située à mi-hauteur. Une tombe en pierre joliment ouvragée est entourée de plusieurs braseros en bronze. Des bas-reliefs sur les bas-côtés de la tombe retracent la vie et la mort d’un homme. De sa naissance, en passant par son enfance presque idéale, entourée par des parents aimants, son accession aux hautes sphères magiques, son arrogance, puis sa lente déchéance, jusqu’à son décès ou du moins un état proche de la mort dans les plus profondes souffrances.
Djalesh franchit la teinture rapiécée à l’Est et pénètre dans un réduit. Il est bombardé par un vacarme innommable composé de grincements stridents, de bruits de chaînes et de coups sourds qui le perclus de douleur, des flash lumineux l’aveuglent. Shade le tire hors de cette geôle, envoie un darkness et un silence. Ces précautions prises ils y retournent. Une simple cage vide trône au centre du réduit. Pas de serrure, ni porte. Des barreaux robustes. Mystère… Sur un des pans du mur, une porte massive en pierre est dépourvue de serrure et de gonds. Décidément.
L’autre réduit en face, sur le côté Ouest, n’inspire que méfiance et rejet. Il est saturé d’une épaisse brume similaire au liquide de la pièce précédente qui tombe en cascade sur le sol. Vautré dans les replis de cette masse semi-liquide, semi-gazeuse, une Boursouflure -c’est, ils l’apprendront par la suite, son nom-, un peu plus foncée que son environnement immédiat émet un bourdonnement sourd. Deux fentes jaunes soufrées entaillent cette abomination. Inutile de lui rendre visite.
Reste la naïade. La conversation avec cette élémentaire du monde des eaux –Nashwie– est compliquée. Elle est susceptible, agacée, colérique et elle n’escompte qu’une seule chose : qu’ils déguerpissent. Silune parvient à l’adoucir. Il vaut mieux d’ailleurs car à chacune de ses contrariétés, les sphères argentées piquetées dans le liquide central s’agglomèrent, s’entrechoquent et produisent une déflagration d’une grande violence. Du calme, mademoiselle.
Ils montent et se penchent sur le sarcophage. Sur la plaque tombale, une inscription est gravée :
« Ci-gît, l’homme sans nom, qui ambitionna la grandeur et qui récolta la déchéance. Qu’il souffre ».
Ils la déplacent. Allongé dans un écrin de velours jaune, un homme au corps bien conservé se repose. Son visage est ridé, presque chiffonné et déformé par la douleur. Un sceptre en ivoire serti d’ambre est posé sur sa poitrine. Étrange : le manche est hérissé de pointes. Comment tenir cet objet sans se blesser ? Le supplicié ouvre les yeux, s’extirpe de sa boite avec les plus grandes difficultés. Ils le regardent avec intérêt. Cet homme est atteint de la maladie des os de verre, le moindre heurt le brise. Une situation qui amuse beaucoup Djalesh. Shade doit s’employer pour que son frère ne lui rompe les os. Une petite tape amicale, hein, juste pour rire ? Silune, consciente de leur situation précaire, fabrique un trône et glisse sur le siège son tendre édredon. L’infortuné s’assied avec moult précautions. Il chuchote, il peine à reprendre son souffle après l’effort accomplit. Il n’est pas que fragile mais adynamique. Et oh, il a oublié son sceptre, l’instrument de son infortune, il doit aller le chercher. Ses yeux suppliants cherchent du réconfort mais que peut-il donc attendre d’eux ? Alors ils assistent à une scène cauchemardesque. Il quitte son siège, rampe jusqu’à son ancien tombeau, ahanant, pliant sous le poids de l’effort physique, jusqu’à atteindre l’objet du réconfort. Il était moins une pour que Djalesh ne le piétine tel un misérable insecte inutile. Enfin, il s’en saisit, gémit tandis que les pointes d’acier transpercent sa main qui curieusement ne se brise pas, puis retourne à sa place initiale. Que ce fut long et pénible…
Ils auront appris au moins plusieurs choses d’importances. Ce personnage représente l’incarnation de la douleur. Quiconque tente de s’emparer de son bien se trouve immédiatement téléporté dans la prison… La cage de verre où se trouve le clone du magicien –car il s’agit d’un clone- ne peut être brisée que par son spectre. Le miroir central renvoie l’image de ce clone vers la cage de verre du niveau supérieur. La libération de ce clone emprisonné ouvrira la porte de pierre derrière laquelle se trouve le vrai magicien. Un detect lie indique qu’il ne ment pas. Cela implique qu’il va falloir déplacer cette larve jusqu’à la partie centrale de la salle qui est noyée dans un liquide certainement mortel lequel risque d’exploser à tout moment. Selon ses dires, il existe une solution. Absorber une partie de leur énergie vitale, afin qu’il recouvre sa force… ainsi, Lhecrit se gaussera de leur souffrance. Shade se dévoue et perd trois points de force. Merci, elle savait bien qu’il y avait quelque chose à espérer ici.
Silune rejoint Nashwie. Il va falloir qu’elle cesse son petit jeu avec les perles. Au prix d’une conversation alambiquée, Silune en sait un peu plus sur l’histoire de cette malheureuse qui a été bernée par Lhecrit. Le maître-démon lui a fait miroiter des mondes aquatiques merveilleux et inexplorés en échange de ce petit service de gardiennage… Les élémentaires d’eau sont de doux rêveurs. Silune comprend les raisons de son animosité à leur égard. Leur présence lui impose de quitter son monde et de les surveiller. Pas d’inquiétude. Silune va la renvoyer chez elle.
Après s’être abreuvé de la fontaine de jouvence de Shade, l’homme déclassé est ragaillardi. Il empreinte l’élévateur, se dirige vers la bulle liquide, slalome entre les perles qui par miracle ne s’entrechoquent pas, atteint le miroir puis la prison de verre. Shade, Silune et Djalesh gagnent l’entrée du réduit à l’ouest, prêts à bondir vers la porte de pierre tout en guettant du coin de l’œil la boursouflure en face, laquelle, pour l’instant, reste coi. L’incarnation de la douleur abat son sceptre une première fois sur la cage qui se fendille. Le clone à l’intérieur ne bouge pas. Boursouflure non plus. Il abat à nouveau son sceptre sur la structure en verre qui vole en éclat. Puis, avec une violence que l’on imaginait pas de la part de cet être chétif lui assène une formidable rosée, expurgeant toute sa hargne accumulée depuis des siècles. Son double s’effondre. Lui, hurle de douleur et se disloque. Boursouflure apparaît dans l’embrasure de la pièce opposée. La porte de pierre de leur côté s’illumine, vire au rouge coquelicot. Ils s’en approchent, la touchent et… sont transportés ailleurs… un ailleurs tout aussi extraordinaire que celui qu’ils viennent de quitter où le nouveau magicien dans sa prison de verre est le bon. Silune le sait !