Encadrée par sa sœur et son frère, Silune s’assied face à la cage, ouvre le manuel, se concentre oubliant la menace et la singularité de l’environnement proches et amorce l’incantation afin de libérer le magicien.

Shade et Djalesh sont vigilants. Les pinces de crabes claquent dans l’air, le feu crépite, la tornade colorée vrombit et… la statue de Lichert n’a t-elle pas bougée ? Pas de doute, elle s’anime. Tout s’accélère. Les deux crabes sautent sur le sol. A peine atterrit celui qui fait face à Shade est aussitôt transporté dans un labyrinthe temporaire tandis que Djalesh affronte l’autre dangereux crustacé. Menaçante, l’ex statue pointe du doigt Silune.
«Toi, là, dégage !». Silune a disparu.

Une silhouette humanoïde apparaît au côté de Lichert… Une voix éraillée et grinçante, reconnaissable entre toute, s’élève au-dessus du vacarme :
Maïale : Oh ! Quel plaisir… On ne pourra plus partir hier, mon trésor, regardant Lichert.
Lichert : Toi !
Maïale : Moui. Je n’étais pas partie bien loin. Combien tu m’aurais manquée. Attendons ensemble qu’il arrivasse.
Lichert : Salle traînée. Je vais te détruire.
Ce dialogue autant bref que surréaliste ce clos par l’irruption du vortex dont les bras se sont allongés démesurément pour engloutir la caverne dans une embrassade meurtrière.

Shade et Djalesh sont ballottés tels de vulgaires paquets entreposés dans une carriole soumise à des cahots capricieux. Puis un flash autant intense que soudain les aveugle. Ils sont expulsés et jetés au sol dans un couloir humide, sinueux et accidenté, éclairé par des rubans de lichens à l’aspect maladif tandis que des champignons difformes phosphorescents explosent sporadiquement répandant leur puanteur autour d’eux. L’air est vicié, âcre et fétide.

Où sont-ils donc ? Ils ne le savent pas mais ce lieu n’inspire pas l’elfe drow pourtant familiarisée avec les mondes souterrains. Son précieux objet, son « rubicube » ne fonctionne pas… et, pour ne rien arranger, les ombres et les morts se terrent. Personne ne répond à leurs appels. Seraient-ce les cachots innommables du Maître-démon de la démence et de la torture ? Peut-être. En attendant, une sorte de ver dégoûtant gorgé d’acide se tortille tout en s’avançant vers eux. Que d’énergie dépensée pour se débarrasser de l’inopportun.

Que faire ? Attendre dans ce cul-de-sac ? Avancer vers l’inconnu ? Après de vaines tentatives, ils sont parvenus à contacter DeciLoin. Il ne peut rien pour eux. Il faut qu’ils trouvent la sortie par eux-même, laquelle, compte-tenu des conditions de leur arrivée, ne doit pas être loin. Ils se trouvent dans les labyrinthes interdits qui relient les mondes entre eux. On les appelle communément Dédale, ces réseaux synaptiques complexes originels qui auraient pour Reine Armanthe, la ténébreuse… Faites attention à vous.. on les prétend redoutables. Ce discours alimente si ce n’est confirme l’impression tenace qui les habitait, ce sentiment désagréable de n’être pas à sa place.

Ils poursuivent leur route. Après avoir évités une trappe avec adresse, ils débouchent sur une corniche qui longe les parois d’une large caverne. En contrebas, un lac dormant aux eaux sombres perturbées par une fine raie lumineuse mouvante incite à la prudence. Un amphibien, sans doute. Mais que penser de ces curieux pédipalpes accrochés sur son dos ?

Ne faut-il pas rebrousser notre chemin ? Allons, le Dragôn nous a indiqué que la sortie ne devait pas être loin. Pourquoi ne pas tenter un commune puisque nous ne sommes pas dans les geôles de Lichert. Certes, mais à qui allons-nous nous adresser ? Une désagréable impression les assaille. Celui ou celle qui leur a répondu ne s’est-il pas joué d’eux ? Non, cela ne va pas. Ils empruntent un corridor de traverse.

De surprenantes failles en biseau l’entaillent comme s’il avait été soumis à de violents cisaillements. Ils se faufilent à l’intérieur, récupèrent avec bonheur une perle d’une blancheur immaculée – une raie de lune !!!- et s’extirpent de la zone perturbée. Le corridor s’ouvre sur une salle rectangulaire régulière ornée de sibyllins symboles. Shade prend le temps de les étudier mais échoue à en percer la signification. C’est rageant ! Il sera dit que cet endroit leur portera la poisse jusqu’au bout ! D’autant qu’elle a reconnu parmi tous ces signes cabalistiques certains ayant trait au temps. Une aura magique de type altération imprègne la salle. Tant pis, ils s’y risquent.

Chez eux. Ils sont chez eux à la baronnie de Naos projetés à quelques années en arrière. Cela ne convient pas. Leur puissance s’en trouve diminuée d’autant. Faut-il tout recommencer ? Un halo circulaire aux contours irisés palpite dans l’air, sans doute le point par lequel ils ont été transportés. Ils n’hésitent pas. Retour dans les labyrinthes. Un peu de repos. Djalesh tente d’appeler sa Reine. Il espère Annabelle. Le silence lui répond.

Ils repartent. Une autre galerie plus tortueuse et accidentée que les autres aboutit à une grotte aux contours indéfinis. Le silence les accueille, une impression de se mouvoir dans une gangue cotonneuse. A l’entrée de la grotte, gravé à l’intérieur d’un médaillon ovale, un serpent en forme de huit se mord la queue. Ce pictogramme annonciateur d’un site marqué par le sceau du temps.. Ils s’y engouffrent. Shade reconnaît avec soulagement ce lieu immatériel et intemporel où ses amis Évelyne et Kabbale reposent pour l’éternité. Elle s’y meut avec aisance, Djalesh la suivant avec difficultés. Malheureusement, bien qu’ils confirment les propos de DeciLoin, ils ne peuvent rien pour eux. Ils n’interfèrent jamais avec le monde extérieur de peur d’infléchir le cours du temps. Il leur appartient de choisir leur propre chemin. La mort dans l’âme ils regagnent les labyrinthes.

Ils survolent les eaux du lac, affrontent et éliminent quatre chauve-souris qui se font dévorer par l’amphibien qui semble apprécier l’offrande. Ils rejoignent l’anfractuosité opposée d’où sourd le bruit d’une chute d’eau. Ils se fraient un passage dégageant les blocs de pierre qui barraient la route et aboutissent à une grotte allongée traversée par une rivière au fort débit. Le bruit est assourdissant ici. Le sol est lacéré par de larges griffures. Un grondement sourd, effrayant, presque un mugissement, provenant d’un recoin masqué par une avancée rocheuse les fait sursauter. Un chien de la taille d’un cheval monté sur six pattes puissantes en sort. Trois yeux couleur d’acier ourlés d’une double paupière qui les observent avec haine, une gueule nanties de canines en cristal d’où dégouline une bave blanchâtre. Un chien de l’espace. Il n’est pas question d’affronter une telle monstruosité. Ils se téléportent.

Ils se reposent à nouveau et réfléchissent à la marche à suivre. A tout hasard, Djalesh tente, pour la quatrième fois, d’appeler sa Reine. Enfin !!!!!!!!!!! Il capte les frémissements d’une pensée, signe que son appel a été entendu. Submergé par un trop plein d’énergie, les yeux révulsés, Djalesh s’effondre. Une femme d’une trentaine d’années au corps athlétique surgit de nulle part. Elle relève Djalesh sans effort. Ce dernier, encore hébété, titube.
Elle se tourne vers Shade. « Je m’appelle Nylthallyren. Vous m’avez appelé. Je suis là. Pas le temps de tergiverser. Cet endroit est trop dangereux. Allons chercher une des fatum, il n’y a qu’elles qui peuvent vous tirer de ce mauvais pas ».
Elle s’est exprimée avec calme mais détermination. Elle fait preuve d’une grande maîtrise d’elle même. Shade pressent chez elle un bouillonnement intérieur qui peut éclater à tout moment.
« Qui sont les fatum ? »
« Deux hommes, deux femmes et un androgyne. Les ordonnatrices ou l’âme de Dédale. Celles qui s’occupent de relier les mondes entre eux, dans le temps et l’espace. Vous connaissez les Entités, les voix et âmes de La Gangue ? Dans ce lieu sans limites, elles les remplacent. Parfait ! Allons-y. » La discussion est close.

Ils cheminent le long de la corniche. Le lac se rétrécit pour se jeter dans une vasque une dizaine de mètres plus bas. La corniche s’interrompt mais des escaliers naturels sculptés dans la roche permettent de rejoindre la vasque en contrebas. Ils les descendent puis attendent. L’eau bouillonne. Émerge une créature de petite taille tenant tout à la fois d’une fée et d’une banshee. Ils ont entendus leur accompagnatrice susurrer : Alducène, puis elle s’est tue.

Ledit ou ladite Alducène s’exprime avec une voix chevrotante aiguë, assez désagréable qui leur parvient par écho. S’ensuit un monologue… une sorte de soliloque intérieur. En substance, il ou elle est étonné(e) de leur présence en ces lieux aujourd’hui… ils sont arrivés par erreur semble t-il… comment réparer l’erreur de trajectoire… hum… alors… voyons….peut-être que.. non… ou alors, non cela ne va pas… elle ne se répare pas… continuez alors… terminez l’action engagée… que faire d’autre ?… cependant,… il manque quelqu’un… alors, le mieux serait de raccourcir l’incursion… oui… les conséquences ?.. évidemment, il y aura des conséquences…

Un halo, le même type de halo circulaire qu’ils avaient empruntés pour revenir de la baronnie de Naos, est apparu à côté d’eux. Ils s’y engouffrent.