La narration d’Ailhiance à ses frères et soeurs

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La narration d’Ailhiance à ses frères et soeurs

C’est par une journée radieuse que je m’éveillais. Les oiseaux pépiaient autour de moi. Je me sentais en harmonie avec ce lieu, une sorte de félicité surnaturelle m’arrachait hors de mon corps. J’étais adossé à un arbre, de fort belle taille ma foi. Sa ramure me laissait à peine deviner un ciel que je ne reconnaissais pas. Cet astre clair étincelant qui dardait ses rayons sur ma peau me réchauffait, pourtant je l’accueillais sans joie. C’est alors que je me rendis compte de ma condition. Je grelottais. Je ne sentais plus mes membres. Qui étais-je ? Où étais-je ? Pourquoi étais-je si cabossé ? Ces pensées me terrifièrent. Je divaguais. Je sombrais dans l’inconnu, un monde sans rêve. Qui saurait dire combien dura cette succession d’assoupissements et de réveils ? Quand je repris connaissance, j’y voyais plus clair. Je tentais de me redresser. C’était présumer de mes forces car je m’affalais tel un misérable. Je sentais profondément que celui que j’étais devenu ne correspondait pas, plus, à celui que je fus naguère… pourtant, rien ne transparaissait de mon ancien état. Le néant.

Cette situation me mit en rage et j’essayais de me relever quand une voix sensuelle au timbre grave familier -et pourtant si différente- me conjura de me tenir tranquille. Je me tournais vers la voix. Une elfe grise à la peau cuivré et à la chevelure argenté était assise à califourchon à même le sol. Sa beauté m’aveuglait et j’aurai dû naturellement la désirer… pourtant j’avais la conviction intime que son cœur était attaché ailleurs. Elle me regardait, souriante. De petites créatures, des génies de la forêt, virevoltaient à ses côtés. Bien que son visage m’était inconnu, une impression forte s’imposa à moi. Je la connaissais. J’appris qu’elle se nommait Silune. Du moins, c’est ainsi qu’elle s’appelait désormais car il n’en avait pas toujours été ainsi. Compte-tenu de mon état de grande faiblesse, elle exigea que je me repose. J’eus le temps de prendre connaissance de mon nom. Je m’appelais Ailhiance. Je m’enfonçais dans un demi-sommeil, ponctué de crises effroyables. Sans cesse, Silune s’occupait de moi. Inlassablement, je l’assommais de mes questions, qu’elle repoussait gentiment. La patiente n’avait jamais été une de mes vertus. Une preuve que je reprenais peu à peu des forces. Elle le savait, semble-t-il, et elle usa de tous ses artifices pour éluder mes questions. Il faut dire que ma condition, quoique s’améliorant, n’avait rien d’encourageant. Je réalisais que son savoir et les soins qu’elle me prodigua m’avaient préservé de la mort.

Elle disparut. Je ne l’ai jamais revu depuis. Inutile de vous dire combien je fus choqué par son départ que je vécus comme un abandon. Mes compagnons m’égayèrent. Je suis d’une nature joviale et insouciante, savez-vous. Les jours s’égrenaient un à un. Il est vrai que j’avais beaucoup d’affinités avec le peuple de la forêt, j’ai du sang de Sprite, voyez-vous. Je me rétablissais lentement grâce à l’attention de ces petits êtres qui me protégeaient, me dorlotaient et avec lesquels je partageais d’agréables moments. Ils attendirent que je sois d’aplomb pour me remettre une lettre cachetée. Je l’ouvris avec fébrilité.


Le Message de Silune à Ailhiance


Je m’en veux aujourd’hui de n’avoir pas eu l’énergie pour la retenir. Qu’avaient obtenues les personnes de cet Ordre en dédommagement ? Où l’avaient-elles transportée ? Je relus cette lettre jusqu’à la mémoriser mot pour mot, puis je la détruisis. Bien m’en a pris.

Me rappelant les paroles de Silune, je quittais la forêt enchantée. Je me rendis à Winoc. J’avais eu vent du relatif laxisme affiché par les dirigeants de cette cité. Ce fut ma première découverte avec le monde civilisé d’Almagamo. Une expérience enrichissante, je crois. Je ne me souviens plus du nombre de frasques auxquelles je me livrai. Je m’abandonnai pleinement, gagné par l’ivresse de la démesure. Je ne vous cache pas que c’est à coup de bottes que l’on m’expulsa. Qu’importait, une autre ville m’attendait. Je ne mis pas longtemps à réaliser que les villes étaient gouvernées telles des cités-états. Les informations circulaient mal d’une ville à une autre. Je me déplacerai avant que mon nom soit associé aux pires vilenies. Et s’il l’était, peu m’importait. Ce style de vie me convenait. Sans attaches.

Je rejoignis Harviel, une ville plus au Nord. L’ambiance ne me plut pas. Les gentes de Némésis imposaient leur dictât. On me captura. Je fus déféré devant leurs tribunaux, jugé et voué aux pires gémonies; on me châtia. Je fus cédé à des marchands de viande humaine. Ils m’attachèrent à leurs roulottes, escomptant me vendre à Fant, la cité des meurtres, une cité à la réputation sulfureuse. J’aurai pu aisément m’échapper, car les menottes et les liens ne m’ont jamais retenus. Mais, voyez-vous, après avoir soudoyé mes convoyeurs, je disposais d’un agréable moyen de transport. De surcroît nous bénéficions d’une solide protection. Il faut dire que nous traversâmes les « Collines pourpres » et « Jiunie les traîtresses », deux contrées dangereuses. Mon transport fut royal. Je me reposais. Arrivé aux portes de Fant, je m’évadais. On me rechercha, puis on m’oublia.

Je découvrais le théâtre de mes prochains terrains de jeu. Dans un premier temps, je sus faire preuve de prudence. Vous aurez deviné que cela ne dura pas, bien évidemment. A la retenue que prônaient les sages, je leur opposais l’indécision et la démesure. Et j’y rencontrais des comparses qui n’en espéraient pas moins. C’est ainsi qu’un soir j’observais ma future partenaire de beuverie, Bathsharaé, perchée sur les toits, scrutant de ses yeux de félin les passants en contrebas. Je la suivais. Nous ne mîmes pas longtemps à sympathiser. Nous ne nous quittâmes plus. Elle me présenta à sa maîtresse, Maïthérée. Je côtoyais cet univers particulier, tout à la fois dans et à l’extérieur de la ville. Nous nous fondions dans la nuit à l’écoute des rumeurs, espionnant les femmes et les hommes qui se mouvaient à nos pieds, à l’affût de la moindre opportunité pour nous divertir. Nous connaissions chaque bouges, chaque recoins de Fant.

La Guilde des Croix, me contacta. Je ne souhaitais pas m’inscrire dans une démarche collective, par définition rigide, mais on m’expliqua diplomatiquement que je n’avais pas le choix. Il faut croire que mes talents furent appréciés. Je gravis un à un les échelons de la Guilde, jusqu’à en devenir le numéro deux. J’épaulais Losia le dirigeant de la Guilde des Croix. Je rencontrai Nathalia, son associée, une femme redoutable. J’avoue que sans la sagacité de Bathsharaé, je serai tombé dans les rets de cette femme. Une personnalité haute en couleur. Le gouverneur tentait sans succès de la conquérir. Cela ne l’empêchait pas de frayer avec les sphères du pouvoir. Nathalia s’appuyait sur une hobbit, Ciselie, que Bathsharaé m’avait présentée, membre et à mon sens dirigeante, de la Guilde des Roues. C’est ainsi que je pris connaissance de l’existence de cette Guilde qui fomentait dans l’ombre et dont l’objectif avoué était de renverser le Gouverneur et son équipe. Me divertir, voler, semer la zizanie, autant de projets qui me convenaient. L’idée de participer à un gouvernement ne m’enchantait guère. Je préférais garder mes distances.

Je passais beaucoup de temps avec Laendelle qui dirigeait une antenne de la Guilde des Prostituées dans le quartier du marché. Elle sut se montrer convaincante. J’adhérai au culte de Fielle, la divinité qui prêche la violence. Je savais qu’il devait en être ainsi. Une attache presque indéfectible me liait à cette déesse. C’était une évidence.

C’est alors que je perçus son appel. Faible au début, il augmenta en intensité. Je m’étais aguerri. Je le ressentais. Une voix, un être, me sommait de le rejoindre, un cri impérieux qui me prenait aux tripes. J’abandonnais tous mes projets en cours. J’étais obnubilé. Une idée fixe. Je le localisai dans le Palais. Il n’y est plus désormais. Au sein de la Guilde des Croix, je côtoyais Élise, une femme aux multiples talents, dont la duplicité, je l’appris à mes dépends.

Un soir, une opportunité se présenta. J’étais seul. Bathsharaé ne m’avait pas encore rejoint. Je n’hésitai pas. Le gouverneur et la plupart de ses vassaux s’étaient absentés pour une partie de chasse dans les marais. Du moins, c’est ce qu’elle m’annonça. Elle prétexta une indisposition passagère pour décliner sa participation à la chasse nocturne. Je la cru. J’aurai du me méfier. L’espionne-traqueuse du gouverneur Malori qui refuse de chasser. Je mesure à quel point je fus naïf. Nous pénétrâmes à l’intérieur du Palais. On nous attendait. Je fus maîtrisé puis assommé.

Je m’éveillais dans la pièce dans laquelle vous m’avez libéré. Un être massif, un diable du froid aux cheveux blancs mi longs, se tenait devant moi. Il me toisait de ses yeux rouges injectés de sang, l’air satisfait de sa prise. Appuyé sur son trident de feu, il me narguait. Au cours de nos différents tête-à-tête, il me révéla son nom. Maalame. Il me tortura, m’amadoua, usa de tous les subterfuges pour percer mes défenses. Il se trouve que nous avons, les gens de ma race, des capacités hors du commun pour résister au mauvais traitement. Nous nous étions déjà rencontrés, quelles qu’aient été nos anciennes apparences. Nous le savions. Je pensais à Silune. Oh, combien j’avais failli !!! Je n’avais songé qu’à m’amuser depuis mon départ de la forêt, oubliant ce qu’elle m’avait recommandée. Je pressentais qu’il s’agissait d’une de ces créatures qui comme moi avait jadis été autre. Je l’intriguais. Maalame désirait approfondir la question. Il disposait de tout son temps. Il soupçonnait que j’étais quelqu’un de plus important qu’il n’y paraissait.

Il entra dans une rage folle quand on l’informa -hélas je cédai sur ce point- que l’objet que je convoitais se trouvait en possession d’Amélie. Visiblement, le gouverneur Malori n’était qu’un subalterne. Je l’entendis en parler avec Elise. D’ailleurs, cette dernière fut la seule personne avec Maalame que je vis lors de ma détention. Le gouverneur avait reçu ce présent du Major qui l’avait lui-même reçu d’un elfe aquatique lequel avait trouvé l’objet au fond de la mère Syx. C’est ainsi que je compris que l’objet était une broche. Le gouverneur l’avait offert à sa maîtresse. Enfin, Amélie l’avait transmis pour une obscure raison à Ciselie. Je ne sais ce qu’il advint de l’objet par la suite.

Maalame disposait de ressources importantes et son savoir était considérable. Il était versé dans les arts démoniaques. Il prépara un sort, un sort qui lui demanda de longues journées d’études. Enfin, il vint me retrouver. Il était prêt. Une sphère m’engloba. Je perdis connaissance.