Le transfuge vers les MF se fit en douceur par le biais d’une faille locomotrice. Ce boyau au contour flou baigné d’une lumière blanche crue se déroulait sous leurs yeux à l’infini vers une destination inconnue. Au fur et à mesure de leur progression, plusieurs passages latéraux se dessinaient, accroissant encore leur sentiment d’égarement. Ils suivirent avec attention le ruban rouge qui ondulait sur le sol, unique fil d’Ariane qui les rattachait à la réalité. Ligeia et Arcademion s’abandonnaient. Ils adoptaient une attitude lascive, se livrant avec extase aux caresses prodiguées par ces pâles silhouettes tantôt féminine, tantôt masculine, qui se pressaient à leur approche. Shade et Djalesh s’évertuaient à les repousser ce qui provoquait immanquablement le courroux des habitants et un concert d’arcs électriques. Enfin, sans que rien ne l’annonce, Ligeia s’extirpa à contrecœur -telle la chrysalide de son cocon- de la veine palpitante.

Ils faisaient leur entrée dans le monde de Liadoume, dit « la vallée aux merveilles« , l’unique monde qui jouxtait leur point d’arrivée. La température y est élevée, de l’ordre de 40°, et le taux d’humidité avoisine les 90%. Des météorites zèbrent un ciel couleur cendre et s’écrasent sur un sol fangeux piqueté de cratères. Une lumière pâle, diffuse -dont on ignore l’origine- plonge les êtres et les choses dans une atmosphère de clair-obscur. Des ombres aux formes indécises se meuvent parmi d’autres ombres, se mélangent, puis se séparent. Des langues de feu, -peut-être la seule source de lumière vive des lieux- lèchent des prairies calcinées. Des arbres cyclopéens aux formes vaguement humaines s’embrasent. Des montagnes aux à pics vertigineux font place aux gouffres insondables. Régulièrement, des pans entiers de falaises s’effondrent dans un vacarme assourdissant. Une pluie chaude et visqueuse tombe sans discontinuité sur ce monde terne, affadi et nauséabond. Pluie et feu se livrent un combat impitoyable. Des animaux à l’aspect improbable hurlent, poursuivis par une meute de démons en furie. Non il n’y a rien de merveilleux ici. Ajoutons que son atmosphère est viciée, provoquant, pour les non-natifs, une forte gêne respiratoire.

Ils longèrent la langue calcinée aujourd’hui éteinte qui se frayait un chemin au sein de la forêt minérale, priant leurs dieux qu’un aérolithe ne s’abatte sur eux. Ils montraient des signes de fatigue. Il devenait impératif de se reposer. C’est pourquoi ils délogèrent un batracien de grande taille à la peau bleue, autant récalcitrant qu’agressif. Le lendemain, ils reprirent leur route après un repos mérité.

Une immense plaine désertique rocailleuse remplaça la forêt minérale. Non loin, une dizaine de démons bipèdes à la tête de vautours se chamaillaient. Ils en appelèrent une nouvelle fois aux êtres de transport. L’un d’eux fit son apparition, quasi en apesanteur, marchanda comme il se doit, emportant ici une potion, là un parchemin. Il les mena à bon port. Ce rituel inhérent aux mondes faillés risque à la longue de devenir pesant. On comprend pourquoi les déplacements surnaturels sont réservés à une élite fortunée.

Par-delà la morne plaine, de hautes chaines de montagnes à l’aspect désolé hérissaient l’horizon. Leur chemin les conduisait là-bas. Ils prirent l’apparence d’incubes et de succubes. Ils s’élevèrent dans les airs, franchissant un large précipice, d’où s’échappait des vapeurs méphitiques. Un vent tourbillonnant violent détourna un des deux groupes formé par Ligeia et Shade, tandis que Djalesh et Arcademion se posèrent sur une large corniche qui surplombait un défilé. Au sol, une dizaine d’orangs-outans jouaient avec quelques malheureuses créatures bipèdes difformes. Trois démons ailés s’invitèrent, poursuivant de leurs cris inhumains les deux femmes. Tentant leur va-tout, Ligeia et Shade fondirent vers les primates espérant semer le trouble parmi leurs poursuivants. Les singes, à l’intelligence limitée, se laissèrent convaincre de les protéger en guise de quelques moments de plaisir. C’est ce moment que Djalesh, qui observait avec attention la scène à ses pieds, s’abattit sur les vrocks. Arcademion en resta pantois. Pourquoi une telle prise de risque et tant de violence inutile ? Ligeia et Shade, profitant de la diversion, remercièrent leurs associés d’un jour pour les pourfendre sans pitié. Cet interlude prit fin et les deux groupes se recomposèrent pour le meilleur ou le pire… Ils escaladèrent des éboulis, s’engagèrent dans une passe étroite et déboulèrent dans une large cuvette fermée à ciel ouvert. Enfin, l’arche de Liadoume s’offrit à leurs yeux.

MF-Level 10 monoclassé