L’écurie n’a pas changé. Les mêmes montures. Le même brouhaha provenant de l’étage supérieur. Ils sont revenus à l’Auberge rouge. Mosaûl et Eveil absents. Ailhiance laissé quelque part en rade. Ligeia disparu, remplacée par le bien nommé Issbur. Ont-ils gagné au change ? Sur les plans de l’entrain et de la bonne humeur, certainement. Pour le reste, il faudra compter sur d’autres forces.
Qu’il est bon de se sentir chez soi. Ce parfum de réconfort, cette sensation de bien-être quel seul un lieu familier procure réchauffe leurs cœurs. Son bar, son personnel accueillant, les clients qui les saluent chaleureusement. Personne ne les connait ou reconnait. L’avenir proche nous montrera que cela s’avère inexact. Parmi les convives, ils identifieront Cinielle une Princesse-démone. Ils endossent le costume d’anonyme qui leur sied à ravir. Un endroit idyllique pour passer quelques jours de repos bien mérités et laisser les tracas quotidiens de côté.
La jolie et aimable Célène les conduit à la chambre qu’ils ont choisie. Il faut croire que la promiscuité les rassure. Ils ont l’occasion de l’aménager au gré de leurs fantaisies. Les jumeaux Vorni et Vorac, ces gnomes serviles métamorphosés en décorateurs d’intérieur, déploient des trésors d’ingéniosité pour répondre à leurs demandes. Le gérant de l’auberge invite son personnel et ses convives à une joyeuse collation en début de soirée en guise de bienvenue. On apprécie son affabilité. Voilà un hôte prévenant et attentionné. On ne peut en dire autant de tous les établissements.
Une assemblée bigarrée où se mêlent humains, elfes, nains, diables et autres créatures singulières écoute religieusement le discours de leur hôte. Ce personnage grand et maigre, aux traits émaciés, au teint livide et aux longs cheveux décolorés montre tous les signes du surmenage. Les yeux baissés, les mains entrecroisées derrière le dos, il arpente de long en large la salle commune, l’air préoccupé. Que de pantomime outrée dans son jeu d’acteur. On le comprend, la gestion d’un établissement de cette envergure relève de l’impossible pour un homme seul. Les invités prévoyants ont poussé les tables le long des murs afin de laisser la place qui incombe à quelqu’un de son rang. Certains l’appellent le gérant, d’autres le maître –sous-entendu, le maître d’hôtel- parfois on l’affuble du sobriquet de ‘‘l’Étranger’’, surprenant pour une personne qui habite les lieux.
Venons-en aux faits. L’auberge dérive. Le maître de bord –tient, une nouvelle dénomination- a perdu le contrôle de l’engin. Les membres de l’équipage, son personnel de bord et ses passagers sont embarqués dans un habitacle sans gouvernail qui risque, à tout moment, de sombrer ou de s’emballer. La faute à une intrusion. Il daigne relever les yeux vers l’assistance attentive. Enfin, pas tout à fait, car des membres de l’auditoire glissent des regards obliques et observent la réaction des autres. On profite de l’inobservance de l’orateur, gage qu’il n’en tiendra pas rigueur ? Sans doute, sans doute… Il y aurait selon lui, que d’aucuns ont l’audace de récuser, un, une ou plusieurs indésirable(s) qui entraverait(ent) la progression de l’Auberge. En l’état, l’Étranger se voit au regret de surseoir à son devoir. Autrement dit, ils sont coincés ici, sans échappatoire possible.
♦ « Je vous laisse digérer cette information. Je ne doute pas de votre capacité à élucider cette énigme ». Après ces dernières paroles pathétiques dignes d’une tragédie de mauvais goût, il rejoint ses quartiers, les laissant à leurs spéculations.
S’ensuit une revue des effectifs, riche et amicale, l’entraide et la sincérité se disputant la primeur. Ils sont quinze, disons quatorze si l’on retire la délicieuse Mona qui fait partie du personnel. Quatorze personnalités hautes en couleur. On s’épie. Des clans se forment. On évalue les forces en présence. On s’interroge. Seront-ils le même nombre demain matin ? Qui manquera à l’appel ?
MF-Level 13/13 – 5