Escorté par Kalice, une deva, Djalesh emporte sa sœur d’un pas rapide vers le temple. Ils franchissent le rideau de fumée purificateur, soulèvent l’épaisse tenture et déboulent dans la grande salle du temple. Kalice ordonne à l’un des deux disciples d’Amélis présents d’aller réveiller le grand prêtre Tanwen.
Dans un univers parallèle, Shade décide de se lever. Elle discerne à peine ce qui se passe autour de son enveloppe corporelle. Elle décide de s’en détacher quand une masse opaque piquetée d’éclairs pourpres, s’oppose à elle et l’empêche de s’éloigner davantage. Lorsque Djalesh a soulevé son corps, cette masse s’est fondue dans l’air pour se dissiper et disparaître. Shade se saisit mentalement de la maisonnée du temps. Cela ne lui demande aucun effort. Elle effectue diverses rotations de l’objet et tente de percer le mystère autour de la chambre de l’auberge. Que s’est-il passé exactement ?
En attendant l’arrivée du grand prêtre, ils transportent la drow vers une salle annexe. Ils l’allongent. Son état n’a pas changé depuis l’explosion. Elle est plongée dans une profonde léthargie que rien ne semble interrompre.
Du côté de la porte, un diaphragme fuligineux s’ouvre lentement mais rien ne transparaît par delà. Non loin, une silhouette surgit, se déploie avec une grande aisance, puis attend …. non, c’est inexact. Il semble qu’elle se dirige en face, vers la source lumineuse. La lumière vive trace dans l’espace les contours d’une femme. Elle tient dans l’une de ses mains une épée et un globe éblouissant de l’autre. Ah, ce globe… le temps d’une palpitation Shade a senti quelque chose d’indéfinissable la traverser qui a continué son avancée vers la source lumineuse, puis la chose s’est arrêtée. Ce n’est que moi, cela ne convient pas, je ne suis pas celle qu’elle espérait. Alors elle se désintéresse de la question et m’abandonne. Je me trouve sans défense face à ce globe lumineux qui grossit, grossit et me heurte… j’entends dans un ultime flash, juste derrière moi, un soupir de dépit, car je n’ai pas résisté assez longtemps…
Le corps de Shade vire soudainement au gris cendré puis se flétrit. Djalesh connaît ce type de mal. Il faut agir immédiatement. Il appose le cœur d’Asthené’couathezor mais cela ne suffit pas. Il se souvient qu’un jour il fut un homme de bien. Il prodiguait ses soins aux pauvres, malades et déshérités. Il appose ses mains sur la poitrine de Shade et aussitôt le teint de sa sœur reprend des couleurs. Le danger est écarté. Djalesh reprend ses esprits. Pour avoir commis cet acte ignoble et répréhensible, il faudra qu’il fasse amende honorable auprès de la confrérie des vilains.
Le grand prêtre arrive enfin, les cheveux en bataille tout en tentant maladroitement de réajuster sa tenue débraillée. L’elfe gris ausculte Shade, puis se relève. Tout va bien, il va s’occuper d’elle. Tandis que Kaline engage son honneur et promet à Djalesh qu’elle veillera sur sa sœur, Djalesh rejoint le Palais royal, narre leurs mésaventures auprès d’Hapauq, l’un des deux hermésophons, puis revient au temple.
Le grand prêtre accomplit un rituel. Shade est allongée sur une table noyée sous les fumerolles de bâtons d’encens tandis que des disciples du culte chantonnent et que Tanwen psalmodie. La deva se tient debout non loin et observe attentive le déroulé de l’opération. Djalesh n’en peut plus. Il ne supporte plus cette aura de bonté qui l’enveloppe et qui s’immisce dans son être.
Des mains intrusives explorent son corps, la palpent, fouillent chaque parcelle de son être. Irritée Shade se lève à nouveau, s’empare de son objet et observe la scène. Qui ose ??? Ah, encore un autre maître-démon… décidément. Cette fois, c’est différent. Elle se retire.
En nage, Tanwen s’adresse à l’anti-paladin qui s’apprête à vomir. Elle est sauvée. Nous allons la garder ici cette nuit afin qu’elle recouvre ses forces. Soit ! Il dormira à ses côtés.
Ils passent une nuit tranquille dans le temple puis regagnent l’auberge le lendemain. Il était temps car Djalesh était au bord de la suffocation. On dirait que l’aubergiste n’est pas très ravi de les revoir. On se demande pourquoi. Le couchage manque, deux chambres ont été dévasté. Qu’à cela ne tienne, ils expulsent un couple qui occupait la plus grande des chambres. Vingt quatre heures de repos ne seront pas de trop.
Ailhiance est arrivé. Ils lui exposent la situation puis leur frère file se fond dans la ville. Il n’y a plus qu’à attendre le résultat de ses pérégrinations.
Évidemment, la femme aux cheveux verts ne s’est pas présentée. Il y a bien une femme de petite taille qui occupe l’une des chambres. Serait-ce la prophétesse du pentacle la Juste ? Une incursion dans sa chambre s’impose. Imaginez le grotesque de la situation quand, la nuit, deux êtres redoutables se tiennent debout, plongés dans un silence et dans le noir devant le lit d’une femme ordinaire endormie. Constatant leur méprise, ils retournent à leur chambre penauds. Ils apprennent le lendemain que la femme aux cheveux verts est partie la veille et a cédé sa chambre à celle qui l’occupe actuellement.
Ils sont dans l’impasse. June et les hermésophons aussi. Shade est rétablie. Ils se promènent la nuit tentant de découvrir quelque chose qui aurait pu leur échapper. Au moins prendre l’air…
Dans la partie centrale de la ville s’élève la tour centrale, plantée au milieu d’une plaine dégagée, qui relie Ilairthe au « bois aspiré », juste en dessous. Étrange cette grande place vide au centre de la ville. Par chance à moins que cela soit dans l’ordre des choses, Djalesh a cru apercevoir cinq silhouettes à l’aspect fantomatique voler et s’enrouler autour de la tour. Le temps de s’en approcher, elles avaient disparues.
Un nouvel Asthénos a été égorgé cette nuit selon le même mode opératoire. Aucune trace relevée. A désespérer.
Ils asticotent Olanthe, l’un des deux astral deva d’Ilairthe et essaient de le déstabiliser. Se pourrait-il qu’un traitre se cache dans leur rang ? Ils ont appris que tout le monde n’approuvait pas le traitement qui attend les vivants une fois décédés. Plutôt qu’un royaume sans saveurs, sombre et hostile, pourquoi les défunts n’auraient-ils pas le droit à vivre une retraite dorée dans un lieu agréable ? Leur interlocuteur ne se départit pas de son calme et ne tombe pas dans ce piège grossier. Il est incorruptible. Inutile de chercher une quelconque faiblesse de son côté. Sa sœur, Linthia, semble plus émotive. Ils essaieront de l’ébranler mais il faudra prendre garde de sa réaction.
Shade se réveille en sueur. Voici ce dont elle se souvient :
Analinaxaïnea frappe à la porte de leur chambre. Vous voulez savoir qui sont ces silhouettes que vous avez aperçues ? Elles sont présentes tous les soirs à la même heure à cet endroit. Je vais vous y conduire. Cela ne fera pas avancer votre enquête mais cela ne parasitera pas inutilement vos pensées. Ils se faufilent entre les façades des maisons. Attendons. Inutile de nous approcher davantage. Silencieuses, cinq silhouettes vraisemblablement féminines émergent du sol, se lovent autour de la tour, virevoltent et montent de concert à son sommet dans un ballet féerique puis se fondent dans la nuit pour s’effacer et disparaître.
En détail, ils ont aperçus :
– une drow ou demi-dow, plutôt jeune, à l’aspect détaché, de petite taille, robuste, à la chevelure argentée, aux yeux sombres prégnants tenant une bastard sword en cristal et portant une plate mail;
– une elfe haute, jeune, à la peau ambrée bien que très pale, mince, de taille moyenne, coiffée d’une chevelure épaisse noire, aux yeux sombres dévorants, tenant une fine épée longue, vêtue d’une longue robe moiré à laquelle un médaillon noir qui diffuse des flammèches d’ombre est accroché ;
– une elfe drow plutôt morte que vivante, jeune, élancée, robuste et athlétique, aux yeux métalliques, aux traits sévères et implacables, à la chevelure de cristal, un médaillon sombre accroché à sa robe, tenant une broadsword runique et une petite arbalette suspendue dans le dos ;
– une femme elfique à l’aspect diaphane, à la peau cendrée et aux cheveux verts coupés au carré, gracile, aux yeux en amende de couleur indéterminé bordés de longs cils, il se dégage d’elle du respect si ce n’est de la crainte, vêtue d’une chemise blanche échancrée, tenant une épée courte en saphyr et ce médaillon couleur cobalt accroché à sa chemise;
– la dernière forme est indistincte et diffuse.
Djalesh, le regard éberlué, se tourne vers elle. Mais, ce n’était pas un rêve. J’y étais, moi aussi. Je me souviens de cette scène. N’est-ce pas Analinaxaïnea ? Il la cherche. Ah, mais où est-elle, celle-là ? En effet, ils ne sont que deux dans la chambre.
Shade se réveille en sueur. Voici ce dont elle se souvient :
Analinaxaïnea frappe à la porte de leur chambre. Vite ! Dépêchez-vous ! Suivez moi ! Cela ne peut durer, la situation est trop périlleuse. Nous allons parcourir le chemin inverse et effacer votre rencontre avec la puissance que vous avez rencontrée. Si nous ne faisons rien, cette confrontation vous laissera des séquelles. Vous n’êtes pas de taille à les affronter dans ce temps et ce monde. Ce faisant, elle me regarde. Vous pourrez me suivre, Reflet, j’imagine. Ce tournant vers Djalesh, quant à vous, Concordant, prenez ma main et ne la lâchez pas.
Les voici partis dans un périple similaire à celui qu’elle a vécu dans un rêve il n’y a pas si longtemps. Ils empruntent divers boyaux dans la montagne, se hissent sur une étroite corniche qui surplombe la ville d’Ilairthe ou une de ses facettes, assistent de loin au combat titanesque, puis rebroussent chemin et reviennent à leur point initial. Hormis son « affrontement » avec la maîtresse-démone, rien n’a changé.
Elle secoue Djalesh qui dort profondément.
« Qu’est-ce qui se passe ? »
« Comment ça qu’est-ce qui se passe ? »
« Je n’en sais rien, moi, je dormais. »
« Tu te moques de moi ? Nous venons de voyager dans le temps et c’est tout ce que tu trouves à dire. Nous étions tous les deux en compagnie d’Analinaxaïnea. Elle a dit qu’il fallait effacer la rencontre avec la maîtresse démone dans l’auberge… »
« Quoi ? Mais je ne m’en souviens pas. Tu as rêvée. Je pense que tu as été très éprouvée ces derniers temps. »
« Mais enfin, la traversée dans la montagne, la corniche, la ville en proie au chaos, dévastée, notre retour poursuivis par les chiens de l’espace… »
« Tu plaisantes, non ? Tout d’abord, je me souviens très bien de l’impact de la lumière. Ta bascule dans l’escalier. De l’épisode du temple que j’aie dû endurer. D’ailleurs, Analinaxaïnea on ne l’a pas revue depuis, alors, il se retourne dans son lit, rendors-toi. »
Elle le regarde interloquée et elle ne sait plus que croire. Effectivement Analinaxaïnea n’est pas là. Pourtant, elle est persuadée que sa rencontre avec la maîtresse-démone a été effacée. Donc ???
Ailhiance les rejoints le lendemain. Il a observé un phénomène singulier qui a retenu son attention. Dans une place au nord ouest de la ville, un hobbit égaie les habitants à travers divers spectacles, comédies et jeux en tout genre. Il est plutôt bon dans l’exercice. Ailhiance a apprécié. Ce hobbit excelle dans la découverte des noms de son auditoire.