Acteurs en présence :
- Agileï
- Shead
- Sulnie
La pluie tombait drue. Ils s’étaient réfugiés dans l’une de ces grottes qui perforaient la haute falaise calcaire. Les locaux affirmaient que ces boyaux tissaient un immense réseau qui s’enfonçait dans les profondeurs de la terre. Personne n’en connaissait l’étendue et leurs informateurs prétendaient qu’une faune endémique s’était développée à l’abri des tourments des gens de la surface. Cela tombait bien. Peut-être était-ce la cache idoine pour déjouer leurs poursuivants ?
Agileï tira son épée de son fourreau et inspecta les alentours. Aussitôt la grotte s’illumina, dévoilant les diverses saillies et cavités de « l’antre de la bête », c’est ainsi qu’on appelait cet endroit ici. Agenouillé, Shead examinait les plaies de Sulnie qui était adossée contre la paroi. Ils avaient été surpris alors qu’ils revenaient d’une opération contre l’un des territoires dépendant d’Emeithot sur le monde d’Illnur, l’un des cinq mondes éclatés. Depuis, ils fuyaient de place en place, sans cesse harcelés par ses séides, les sinistres « Anges du courroux ». Comment parvenaient-ils à les pister avec autant de facilité ? Cela relevait du mystère…
Au fond de la grotte, un tunnel étroit irrégulier s’enfonçait dans les profondeurs. Une brume tenace exhalait une odeur putride. Et que dire de ces grincements aigus qui n’auguraient rien de bon. La cache idoine, peut-être, mais ils n’avaient aucune envie de progresser plus loin. Cet antre de la bête recelait une menace palpable. Quelque chose habitait ici. Quelque chose ancien qui avait pris racine dans ce monde, indifférente aux combats qui se menaient à la surface entre les Maîtres-démons et Princes-démons. Pourquoi et comment s’était-elle logée sur Illnur, un monde considéré à l’abri des ténèbres ? Ils n’en savaient rien. Mais ils pressentaient tous les trois que ces falaises sillonnées par ces innombrables boyaux et tunnels abritaient une monstruosité.
« J’ai arrêté l’hémorragie. Tu devrais reprendre des forces d’ici quelques minutes » déclara Shead tout en se relevant… »
Agileï, tout en opinant de la tête se dirigea vers l’entrée de la grotte et observa les alentours. Au pied de la falaise, des vignes multicolores étaient accrochées au versant de la colline qui s’étageait en pente douce jusqu’au rivage d’une plage sablonneuse déserte. Une mer quasi figée s’étendait jusqu’à l’horizon. Il faisait beau, le soleil était étincelant, sans doute un endroit idyllique pour se reposer et méditer. Pourtant, il n’était pas question de lambiner ici. Ils n’avaient pas de nouvelles de Hajdels et Moreshea qui avaient mené une offensive contre Elä. Ni de DeciLoin et de Chaalinie qui étaient restés dans leur palais Palanthi sur Imazi. Ces derniers devaient assurer les relais auprès des deux opérations en cours mais depuis leur déboire avec les anges du courroux, les contacts avaient été rompus.
Tout en fixant l’horizon, Agileï lui répondit… « Je pense qu’on va pouvoir descendre jusqu’à la plage… on verra par la suite. »
Shead se rapprocha du démon ailé et balaya du regard les alentours d’un air dubitatif… « Pfff.. il fait vraiment trop jour ici… je vais être obligé d’attirer les ombres. En plus, inutile de faire appel aux transporteurs, ils ne viendront pas. Et aucun ancrage en vue… la poisse ! »
Agileï ne quittait pas des yeux le paysage. « Trop lisse tout ça… il faudra revenir pour faire le ménage. Et je suppose qu’il y a quelqu’un qui s’occupe des vignes ? On ne va pas l’attendre ». Il se tourna vers la femme qui peinait à se relever. « Ça ira Sulnie, tu te sens prête à descendre ? ».
Il eut droit pour toute réponse à une sorte de grommellement inintelligible.
Le calme apparent fut rompu par un bruit sourd et répétitif qui provenait par-delà la colline, plus au nord. Une sorte de roulement de tambours composé d’une série de trois coups répétés plusieurs fois, suivi par un silence puis par des clameurs. Les tambours reprenaient alors et le cycle se poursuivait inlassablement.
La démone penseur était consternée. « Les anges… ils ont retrouvé nos traces. Comment ont-ils faits ? » Puis elle assena un violent coup de poing à une stalactite qui vola en éclat.
Agileï, beaucoup plus pragmatique que son compagnon au caractère irascible, se tourna aussitôt vers l’entrée du tunnel. « Inutile de s’énerver. On se posera ce genre de questions plus tard. On fonce là-dedans ! »
Et sans les attendre il s’engouffra dans le tunnel nauséabond. Ses deux autres compagnons le suivirent en maugréant.