Acteurs en présence :
- Le Dragôn, DeciLoin
- Le démon ailé, Agileï
- L’elfe noire, Kalardhattaia
- Une fée virevoltante
- Une femme à l’épaisse houpelande, Sulnie
Une lumière blafarde tremblotait dans la salle mortuaire aux murs dépouillés. Les corps nus de deux personnages étaient allongés côte à côte sur un lit d’acajou de cretonne jaune. A un angle de la salle, un être androgyne au visage impassible se tenait immobile. Il observait la scène les bras croisés d’un air détaché voire indolent. Le contraste avec les trois autres personnes qui s’affairaient autour des deux cadavres étaient saisissant.
La première, survoltée, bondissait d’un point à un autre, bégayait, blasphémait, pleurnichait, bref, elle était insupportable. La seconde, avait exceptionnellement rejetée en arrière l’épaisse capuche de sa houppelande et se cramponnait au rebord du lit. Ses cheveux raides encadraient un visage ravagé par la douleur. Quant à la troisième, une elfe noire, elle était assise sur le lit d’un des deux macchabées. Les yeux dans le vague, son visage masqué par sa chevelure de cristal, elle battait machinalement l’air avec ses pieds tandis qu’elle tambourinait de sa main une large épée runique posée en travers du lit.
Un démon ailé fit son entrée en trombe. « Alors ? Qu’a dit ton oracle ? »
Celle qui portait la longue robe munie d’une capuche, lui répondit l’air maussade. « Rien. Il n’y a rien à faire. Il n’existe pas d’antidote à ce poison. Il aurait été administré il y a bien longtemps sans que mon informateur n’apporte plus de précision. De fait, il ne savait pas à quand remontait l’empoisonnement. Et j’ai beau réfléchir, je ne vois pas. »
Celle qui sautillait, s’arrêta un court instant. « Et si on demandait à Anisoje ou Adobenell ? » puis repartit de plus belle.
« Hum… je doute qu’ils pourront nous aider… Mais pourquoi pas, oui… Anisoje… peut-être. »
Une voix monocorde provenant de l’angle de la salle doucha ses maigres espoirs. « Non. Il ne vous sera d’aucun secours. »
Le démon ailé se retourna vers la voix. « Et alors ??? On fait quoi, Monsieur le dragôn ??? Hein ? On fait quoi ? On reste les bras croisés à pleurnicher ? »
Le dragôn haussa les épaules.
La femme à la capuche répondit pour lui. « Un poison sans antidote. Je commence à y voir plus clair. Il n’y a qu’une seule chose dans l’univers susceptible de produire ce type d’effet ».
Le démon ailé et celle qui sautillait la regardèrent presque suspendus à ses lèvres.
La femme à la capuche poursuivit sa réflexion à haute voix. « Un noyau. Lequel, je ne sais pas, mais un noyau aurait cette capacité. »
Le dragôn opina de la tête.
« Bon et alors quoi ! Qu’est-ce que ça change que cela soit un noyau qui en soit à l’origine… » S’impatienta le démon ailé. « D’abord, un noyau il faut quelqu’un pour l’utiliser. »
« Oui, tu as raison » réagit la femme à la capuche. « Qui aurait pu faire ça ??? Je vais me renseigner… »
« C’est inutile. » L’elfe noire se saisit de l’épée runique qui vrombit dans ses mains et sauta du lit. Elle se dirigea d’un pas déterminé vers le démon ailé.
Celui-ci sortit instantanément son épée et se mit en garde face à elle.
« Eh. On se calme ! » La femme à la capuche tenta de s’interposer entre les deux opposants bien qu’elle savait qu’elle n’avait aucune chance face à ces deux combattants hors-pair.
Le démon ailé toisa son adversaire. « Je ne sais pas à quoi tu joues, Kalardhattaia, mais tu ne me fais pas peur ! »
L’autre s’était rapprochée à portée d’épée du démon ailé. « C’est toi qui détiens la clé, Agileï. Et je vais faire en sorte de t’aider. Il suffit juste de réécrire l’histoire ».
Le dragôn bondit de sa cache en criant presque : « Tu n’as pas le droit de faire ça ! »
La dénommée Kalardhattaia, se retourna vers lui. Son visage juvénile était déformé par un sourire sardonique. « Je me fiche éperdument de tes menaces, DeciLoin. Si je souhaite inverser le cours du temps, je le fais. Et ce n’est pas les gens de ta race qui vont me l’interdire ! ».
A peine eut-elle prononcée ces paroles qu’une sphère de cristal à l’aspect gibbeux l’engloba. Une excroissance de la sphère apparut, hideuse langue tentaculaire, et avala dans un bruit de succion le démon ailé.
Presque simultanément, un arc électrique suivi d’une forte déflagration provenant du côté du dragôn se fracassa sur la sphère. Bientôt le sol de la salle se lézarda dans un craquement sourd, tandis que l’air de la salle mortuaire se fendilla, libérant des volutes brumeuses bleu cobalt. Le sol se recouvrit peu à peu d’une épaisse fumée marbrée noire.
La femme à la capuche s’éloigna prudemment de la sphère… elle eut le temps d’apercevoir sa sœur la fée bondir et atterrir sur l’excroissance. Cette dernière s’agrippait tant bien que mal à la langue dénuée d’aspérités.
A l’intérieur, les deux personnages restaient immobiles, misérables insectes prisonniers d’une toile invisible. Des arcs électriques se fracassaient les uns après les autres sur la sphère. L’elfe drow tenait l’épée runique pointée vers le haut. De la lame magique, s’échappait un fluide laiteux qui alimentait la sphère telle une sève nourricière.
La fée s’était allongée de tout son long sur l’excroissance, ses bras l’enserrant fermement. Elle basculait d’un côté puis de l’autre tentant d’éviter les arcs électriques. Malgré le vacarme assourdissant, la fée entendit la voix de l’elfe, ou celle qu’elle crût reconnaître comme étant celle de l’elfe, s’adresser au démon ailé en ces termes :
« Ecoute moi, Agileï. N’aie crainte. Dans un autre monde, il y a longtemps de cela, tu t’appelais Ligeia et tes frères, qui reposent là-bas, ne savaient pas encore qui tu étais. Ils t’ont laissée dans une prison sous la surveillance d’un gardien. Avec l’aide de la Lanterne, le Fou t’a piégée. Tu étais en phase de construction et il a profité de ta fragilité pour t’emprisonner. »
Une nouvelle déflagration, plus puissante que les autres, ébranla la sphère.
« Ne t’inquiète pas. Avec l’aide de Krull, ma sphère résistera suffisamment longtemps aux attaques de DeciLoin. Je n’ai pas le temps, ni l’envie de t’expliquer pourquoi nous sommes opposés. Mais il faut intervenir sinon, ce pentacle disparaîtra bientôt… cette fois, nous n’allons pas nous arrêter en si bon chemin. »
Agileï la regardait avec méfiance et stupeur. Que voulait-elle lui dire et que comptait-elle faire ? A l’intérieur de la sphère, l’atmosphère était ouatée, les sons lui parvenaient en différé. « Comment sais-tu tout cela ? »
« Je viens de l’apprendre. Voilà ce que tu vas faire. Il faut que tu, c’est-à-dire, Ligeia, remettes EN MAIN PROPRE, j’insiste, cette fiole à Sulnie. Sulnie, s’appelait Silune dans ce monde. La fiole ne doit pas être ouverte avant. Personne d’autre ne doit l’ouvrir. Surtout pas ! Fais très attention à cela. Au sortir de ta prison, la veuve te donnera en main propre cette fiole puis elle t’aidera à sortir des prisons et à rejoindre tes deux frères… Après ta libération, tu devras te méfier de tout le monde, tu entends, tout le monde, hormis les membres de ton Pentacle. Quelqu’un en qui tu peux avoir confiance sera là pour te les présenter et te garantir qu’il s’agit bien d’eux ! Cette personne te montrera ce sceau ! » Kalardhattaia tendit à Agileï une sorte de petit objet rectangulaire en forme de carabe que la fée ne parvint pas à distinguer clairement. Une nouvelle secousse fit glisser la fée sous la protubérance à laquelle elle s’agrippa de toutes ses forces. » L’excroissance se lézardait peu à peu, la fée avait de plus en plus de mal à s’y maintenir… elle allait bientôt lâcher.
« Cette action, va engendrer de fortes perturbations. Les chiens de l’espace vous pisteront et d’autres choses encore seront attirées par ces troubles…mais nous n’avons pas le choix. »
La fée lâcha prise et entendit encore en tombant alors que l’excroissance volait en éclat : « La fiole et le sceau, Ligeia. Personne d’autre !!! »