La cité de Thalirie est couronnée par un ciel pourpre maculé de souillures noires aux accents sinistres. Le sol irrégulier est formé par un entrelacs d’ossements prisonniers dans une matrice de glace d’où s’échappent des langues de vapeur givrée. Un vent tumultueux et glacial s’engouffre entre les murailles élevées de la ville. Il charrie non seulement la poussière et les détritus mais aussi les plaintes des habitants qui émanent des sombres venelles. Contrairement à Ilairthe, sa cité presque jumelle, Thalirie est bruyante.
De la profonde crevasse qui entaille le sol à l’ouest de Thalirie, un brouillard lumineux se répand sur la plaine. Quel contraste avec l’environnement sombre et lugubre de la ville ! La horde des naguère vivants s’extirpe de ses entrailles. Ils sont immédiatement acheminés par les Asthénos vers les deux zones tampons afin de parachever leur croissance, c’est-à-dire, les façonner, les apprêter puis les répartir entre les diverses factions qui les attendent. A l’intérieur de ces zones, on aperçoit des tourbillons chargés de particules blanches qui se télescopent puis fusionnent pour se séparer par la suite. Des êtres déchirés et démembrés sont ballottés tels de vulgaires fétus de paille dans un vacarme assourdissant. Leurs gémissements se mêlent au tumulte des colonnes d’air dans l’indifférence générale des habitants. Il n’y a jamais de répits dans le royaume des morts et le calvaire de ses habitants commence dés leur arrivée.
Étonnamment, les diverses constructions de la cité semblent surgir du sol, telles des arbres qui plongeraient leurs racines dans les profondeurs de la terre, à moins qu’elles ne prennent naissance dans un ailleurs que les autochtones du royaume n’imaginent même pas. Il ne faut pas s’attendre à trouver ici des maisons, du moins pas dans l’acceptation habituelle du terme. Mausolées, sépulcres, caveaux, tombeaux ou stèles funéraires composent l’essentiel des habitations de Thalirie. Ne cherchons pas non plus d’unité architecturale dans cet amas hétéroclite. On observe une seule constance, peut-être. La prédominance des riches sépulcres à l’approche du centre de la cité.
Deux bâtiments sortent du lot. Le premier n’est autre que le palais de la monarque du royaume des morts, la lich Yshosnar. Il s’agit de l’édifice le plus important de la cité. Le second, par ses dimensions et son influence, est situé au nord-est de la cité. Il s’agit du temple de Lûthsana. Derrière les lourdes portes, nichée au cœur de la cité, une masse informe, sorte de blob nébuleux couleur gris plomb de grande taille n’a de cesse de se mouvoir. On n’en sait pas grand-chose. Seules la grande prêtresse de Lûthsana et la monarque de Thalirie sont aurisées -par qui ?- à se rendre dans cette étrange place désolée.
Les murailles, hautes d’une douzaine de mètres, sont façonnées à partir de blocs de pierres trapézoïdaux blanchâtres à l’aspect lisse. Elles sont hérissées de piques de métal enchâssées de cranes aux globes lumineux orangers. Les yeux mobiles de ces gardiens sans corps suivent les passants qui se faufilent tout en bas semblant vouloir échapper au poids de leurs regards. Des doubles portes gigantesques barrent l’accès au cœur névralgique de la cité. Chaque vantail est édifié à partir d’ossements de squelettes géants encastrés dans un rideau de fumée opaque que l’on croie confectionné à partir d’essence de death crimson.
Des tours hexagonales, bien plus hautes que les murailles ou le plus élevé des bâtiments de la cité, jalonnent Thalirie. A leurs sommets, les défenseurs, -ces squelettes géants munis d’imposantes arbalètes- surveillent les alentours. Parfois, la corne des brumes de l’un d’entre eux résonne, signalant un possible danger. Ils sont accompagnés par les redoutables chauves-souris endémiques à Thalirie que l’on appelle ici les observatrices.
On discerne d’étranges marques disséminées en différents lieux de la cité gravées sur le sol, rappelant le dessin d’une croix. Rien ne semble pouvoir les effacer. De teinte rouge carmin, ces croix exsudent le nectar de la vie. Ces marques témoignent des combats mémorables qui se sont déroulés au cours du temps. Des sortes de poinçons indélébiles incrustés dans le sol que des orateurs ravivent au gré des circonstances.
Attachées par un cordon métallique incandescent, des banshees se débattent sur ce qui ressemble à un large pouf gélatineux de trois mètres de hauteur. On les appelle ici les délirantes car leur souffrance s’apparente à une longue agonie.
Des bruits caverneux sourdent des entrailles de la terre évoquant la mastication d’objets cassants. Il ne faut pas longtemps pour comprendre qu’ils naissent des puits glacés qui saupoudrent le sol de la ville.
Enfin, des rangées de blocs en pierre grise anthracite pointent telles des dents enracinées dans la roche à l’intérieur d’un parc ovoïdal circonscrit par un rideau d’épines. A l’intérieur, un unique chemin caillouteux se faufile parmi les blocs et rejoint une sculpture centrale braquée vers le ciel. Celle-ci est formée d’une large tige verticale haute de plusieurs dizaines de mètres de laquelle s’extraie sur plusieurs niveaux des barres horizontales parallèles au sol. Ce monument si particulier est utilisé comme reposoir par les destriers de Thalirie et les coursiers d’Ilairthe.