Voici un territoire stable; du moins selon les critères en vigueur sur les Mondes faillés. Dans l’ensemble, ses grandes lignes évoluent peu. Ce monde s’étire sur plus de 10000 km d’Est en Ouest et 8000 km du Nord au Sud. Sauf aberration temporelle ou spatiale, rien n’empêche d’en dresser la cartographie, ce qui, avouons-le, tient de la gageure pour les Mondes faillés. Des entités géographiques au spectre large et marqué se chevauchent. Ainsi les zones arides glacées ou ardentes côtoient les zones boisées, liquides ou semi-liquides. De larges régions défient d’importantes régions planes. Cette diversité induit, nous le verrons par la suite, une pluralité d’espèces et de formes, qu’elles soient animales, végétales ou minérales.

Plan d’Almagamo

Les assauts du temps y sont modérés mais empêchent d’y établir une chronologie fiable. Ce faisant, quelques communautés locales élaborent leur propre calendrier. Ces calendriers n’ont aucune valeur au-delà du groupe auquel il s’adresse. Les phases lumineuses et obscures s’étalent sur quelques heures à plusieurs jours sans aucune périodicité selon l’influence des lunes ou d’autres facteurs inconnus. Parfois, l’alternance est brutale; d’autre fois elle s’étire sur des dizaines d’heures. Rien n’est définitif. Plusieurs astres brillent dans le ciel d’Almagamo. Il s’agit d’une manifestation des autres mondes. On observe, par ordre croissant:

  • Nysnmos: un astre sombre auréolé d’écharpes claires, présent uniquement la nuit;
  • Enthrila: un astre clair, étincelant, similaire à un soleil, présent uniquement le jour;
  • Athwari: un astre rouge écarlate, sans préférence d’apparition;
  • I’Polia: un astre gris-bleuté déchiré, sans préférence d’apparition;
  • Augh-Draom: des lambeaux brumeux aux teintes variables, présents nuits et jours.

Le climat reste supportable si l’on se base sur les critères propres à l’espèce humaine. Cela n’exclut pas de fortes disparités liées, on l’imagine, aux différentes entités géographiques; d’autres phénomènes interviennent. Les cycles ou séquences climatiques arythmiques des Mondes faillés s’appliquent sur Almagamo. Certes leurs effets sont atténués, mais ces séquences se caractérisent par des pics ou des creux importants, aléatoires ou non, et impactent toutes les régions de ce monde. On aura compris que ces phénomènes erratiques découlent de la structure inhérente des Mondes faillés et concernent tous les aspects régentant les mondes: temporels ou climatiques, géographiques ou géologiques, énergétiques, magiques… ou biologiques.

A l’instar des différents autres mondes, Almagamo est traversé par un réseau de failles denses et discontinues. A contrario, aucune faille majeure -c’est-à-dire une faille qui fendrait le monde de part en part- n’y figure. On dénote plusieurs zones de passage reliant ce monde aux autres. Sa relative centralité place ce monde dans une position stratégique. Carrefour, point de rencontre, nœud, autant de termes qui se déclinent à l’infini pour dépeindre Almagamo, la région des (aux) circonstances. Souvent, ses évolutions internes préfigurent les changements à venir ailleurs. Contrairement à la relative homogénéité des mondes extérieurs, Almagamo symbolise et incarne la diversité. Du moins l’incarnait car depuis (?), on assiste à des changements importants dans l’organisation d’Enoos, la capitale d’Almagamo, la ville la plus grande des Mondes faillés, l’objet de tous les regards et de toutes les attentions.

Enoos, ville tentaculaire s’il en est, s’étire sur plusieurs km2 et s’enfonce dans les profondeurs. Des souterrains aux frontières mouvantes et instables s’étendent sous la ville et disparaissent sur plusieurs niveaux. Jamais personne n’est parvenu à les cartographier, ni à s’installer durablement. Ils se développent, s’organisent et se structurent par-delà tout contrôle. D’autant que leurs accès sont peu connus et mobiles. Jadis en surface, cinq artères majeures, sortes de monstrueuses aortes, explosaient de la ville, s’échappaient hors d’elle pour imposer les limites avec les mondes extérieurs; on croyait même que ces artères poursuivaient leurs routes et marquaient de leurs sillons profonds les contours des autres mondes. La donne a changée. Ces artères ont disparues; plus rien n’irrigue le territoire d’Almagamo. Auparavant, la ville d’Enoos était découpée en districts distincts, chacun tenu par des factions divergentes. Un comité regroupait ces différentes factions et gérait la politique de la ville. Les membres de ce comité élisaient en leur sein un des leurs pour les représenter. Il devenait gouverneur de la cité. Inutile de préciser que son aura et son pouvoir étaient immenses et le poste très convoité. Réunir dans un même endroit, humains, elfes, humanoïdes en tout genre, démons, diables ou anges, relevait de la gageure; le système pourtant fonctionnait.

On remarque de notables changements dans l’administration d’Enoos depuis peu. Certes, le découpage en district est toujours d’actualité. La structure collégiale a été placée sous la tutelle d’une personnalité relevant directement de Némésis. Le comité émet des avis purement consultatifs. Il est devenu une sorte de coquille vide, dénuée d’influence véritable. Un système théocratique l’a remplacé. Ce dernier a édicté un ensemble de lois et mesures immédiatement applicables à Enoos. Démons et non-natifs ont été rejetés hors de l’enceinte de la ville. Puis, ce fut toutes les personnes d’essence chaotique qui ont été bannies. Parmi elles, celles qui ont accepté de porter allégeance à Némésis ont été autorisé à rester à Enoos. La diversité dont se prévalait Enoos n’existe plus. Le nouveau pouvoir exerce une pression permanente sur les habitants, contrôlant leurs activités, limitant ou interdisant les accès aux districts. On constate qu’il se borne à maîtriser la ville d’Enoos, abandonnant le territoire d’Almagamo à ses propres gémonies.

Les personnes exclues se sont alors établies dans des campements de fortune puis, peu à peu, au gré des vagues migratoires, les campements se sont transformés en hameaux, en villages, en bourgs. Ces nouvelles agglomérations ont acquis une relative autonomie. Si certaines d’entre elles ont noué des relations avec leurs consoeurs -voire avec leur mère génitrice Enoos-, d’autres se sont recroquevillées sur elles-mêmes. On observe depuis (?) un statu quo. La diversité qui jadis émaillait la ville d’Enoos se retrouve de fait repoussée hors de ses murs, vers des proches ou lointaines bourgades ou dans des secteurs géographiques singuliers d’Almagamo. Ici ou là, nous croiserons toutes les formes animales, végétales ou minérales identifiées dans les Mondes faillés, sans aucunes restrictions. De nombreux fuyards tentent de s’évader d’Almagamo pour regagner leur ancien monde. Malheureusement pour eux, la plupart des passages inter-mondes sont bloqués… à moins de fréquenter les passeurs d’Aug-Draom, fréquentation qui nécessite puissance, richesse, ou connaissance. Quelques-uns espèrent découvrir de nouvelles voies. Ils cherchent. D’un autre côté, dans un mouvement de balancier inévitable, Almagamo demeure dans la conscience collective des habitants des Mondes faillés, l’espace central sans lequel rien ne peut se produire. De nombreuses créatures souhaitent s’installer sur Almagamo. Les barrières fonctionnent dans les deux sens. Ces créatures se pressent aux frontières connues en espérant les franchir. On comprend pourquoi, en raison de ces pressions, les zones de passage n’ont jamais été aussi dangereuses.