Il est difficile de décrire un univers qui paraît, au premier abord, aussi désuni et hétérogène. Et pourtant. Cette apparente disparité n’est qu’illusoire. L’assemblage des Mondes faillés repose sur des règles strictes et précises au point d’assurer à l’ensemble un tout cohérent. Tous les habitants, quel que soit leur degré d’implication dans ces mondes, ressentent ce même sentiment d’appartenance à un univers commun. Tous connaissent instinctivement les limites à ne pas dépasser. Néanmoins, les Mondes faillés demeurent, au regard d’autres espaces, libres et relativement permissifs. Les Mondes faillés sont constitués, sur un même plan horizontal, de six mondes majeurs, ou plutôt de cinq mondes extérieurs et d’un monde central. Ces six mondes baignent dans une sorte de gangue -invisible au plus grand nombre- à mi-chemin entre l’astral et l’éther. Chacun de ces six mondes peut, nous le verrons par la suite, être lui-même formé de plusieurs éléments que l’on identifiera à des plans. Enfin, sans aucune logique, des mondes mineurs, appelés des « poches », se greffent à l’ensemble. Le Domaine constant en est l’une d’elle. Ces six mondes sont fortement imbriqués les uns aux autres au point de tisser un immense réseau de terres relié par d’innombrables passerelles extérieures ou souterraines. Nul n’en connaît ni la source ni le nombre. Des observateurs avertis estiment que cette indissoluble intrication renforce l’unicité des Mondes faillés. Sans-doute. Cependant, il y a bien six mondes distincts, aux spécificités remarquables et revendiquées par leurs habitants respectifs.

Esquisse des Mondes faillés

I – Les cinq mondes extérieurs

I-A: Athwari, le duché des marches : contrairement au monde d’I’Polia tout est ordonné et tenu par une main de fer. Rien n’est laissé au hasard. La souffrance est organisée et savamment orchestrée dans toutes les règles de l’art. Les messages sont clairement exprimés ici : malheur au contrevenant, malheur à tous ceux qui ne respecteraient pas les lois sévères édictées par les trois princes d’Athwari, et plus encore, par la terrible Mellissandre, dont le seul nom fait frémir les Mondes faillés. Malheurs à ceux qui deviennent le jouet des damnés,… en définitive, bienheureux celui qui évite de s’y poser. Athwari s’annonce comme une longue et lente descente, de marche en marche, vers les profondeurs et la fournaise des enfers. L’arrivée, l’unique connue, tout d’abord. Une antichambre aux dimensions considérables, bâtie à l’échelle non-humaine, protégée par les gardiens des marches…puis une première marche pour déboucher vers Azereth, le domaine de Xaarig, le premier prince des marches. On dit alors que plusieurs chemins mènent vers Okriuyid, le domaine de Fajorgial, le deuxième prince des marches, plus bas, bien plus bas. Enfin, un dédale de routes inextricables, de chemins, qui pour la plupart n’aboutissent nulle part, de boyaux et conduits en tout genre, pour dégringoler enfin vers le dernier plan, Hashacq, le plus horrible, celui du prince Gormoth. On imagine que c’est ici que se love Mellissandre, fine observatrice des conspirations de ses protégés, attisant machiavéliquement les complots. Ses visées ne se limitent pas à Athwari… elle, ses princes et les grands seigneurs d’Athwari lorgnent avec malice et convoitise sur les mondes connexes et les autres aussi.

I-B: I’Polia, dit les mondes décalés, appartient aux démons : ce monde, ou plutôt devrions nous-dire, ces plans, non dénombrables, sont très diversifiés, autant par leurs origines, leurs apparences, que par leurs gouvernances. Ils évoluent sans cesse, presque quotidiennement. Tout les distingue. Certains meurent, aussitôt remplacés par de nouveaux qui bientôt se transformeront à leurs tours. D’autres perdurent et, pour ceux qui ne savent regarder, conservent un profil inchangé au gré des saisons qui s’égrènent. Pourtant, eux aussi se métamorphosent sous les actions conjuguées des soubresauts du temps et des forces violentes œuvrant à I’Polia. On comprend que la description de ces mondes relève de l’impossible. Actuellement, la Reine sombre, plus connue sous le nom d’Admonestia la fureur, gouverne l’ensemble. Les différents maîtres, grands ou petits, des plans d’I’Polia se doivent de lui apporter allégeance. Mais contrairement à d’autres mondes, son emprise n’est qu’honorifique car qui saurait contrôler le chaos dans ses multiples expressions et traductions. Il n’empêche, par-delà les mondes du chaos, elle est considérée comme la voix du chaos ou, selon ses propres termes, la conscience du chaos. Les connexions entre chacun de ces plans sont multiples. Il n’y a pas de point d’entrée unique à I’Polia. On y pénètre lorsque l’on est d’essence démoniaque ou l’on n’y pénètre pas. A l’intérieur, les démons s’y déplacent allègrement de l’un à l’autre s’ils en connaissent les nœuds. Ils vouent une haine farouche envers la loi et la justice. Leurs relations avec les habitants d’Athwari ont toujours été compliquées. Enfin leur hostilité avec le monde d’Enthrila est d’ordre atavique. En vérité, un démon n’aime ni ne tolère personne, hormis ceux qu’il écrase ou qu’il asservit.

I-C: vient ensuite Nysnmos, le monde aux innombrables tumulus et souterrains, le monde des non-vivants. Que dire ? Monde à part, dévolu aux morts, aux âmes défuntes non captées par Athwari ou Enthrila. On comprendra bien que ceux qui osent s’aventurer dans un tel univers alors qu’ils croient vivre encore ne sont guère nombreux. Cela relève du phantasme ou de la chimère. Curieusement, il n’en est rien. De nombreuses activités s’organisent autour des tâches mortuaires et les adeptes dépravés, morbides prêchant le retour aux valeurs fondatrices et l’abolissement du dictat des vivants sur les morts prolifèrent. D’autant que les guerres, les épidémies, les meurtres, ajoutés aux morts naturelles, favorisent l’expansion d’un monde jamais assouvi. On ne rencontre aucune résistance pour y pénétrer. Le problème réside dans la sortie du monde, autrement plus compliquée. Comment s’échapper d’un monde où l’obscurité se joue des vivants. Comment s’extirper d’un lieu où se complaît la noirceur ; où l’âme, dénudée, dévoilée au grand jour, est traversée par les spasmes de la souffrance d’autrui. Une créature, adulée par tous les nécromanciens, règne en maître absolu ici, exigeant toujours plus de ses adeptes, diligence dans l’exécution de sa volonté et sacrifice. Rien ne l’intéresse hormis la propagation des maladies et des cauchemars. On la nomme Nécrophoria, la mort illuminée, quel doux euphémisme, celle par qui la mort progresse, se propage et, à l’occasion dit-on, celle qui ne peut s’éteindre.

I-D: le monde dAugh-Draom, est tout à la fois le refuge et la source des éléments et de l’énergie des Mondes faillés. On comprend son importance bien que, pour le commun des mortels, ce monde demeure une énigme. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il soit plus connu sous son autre appellation, les terres reconstituées. Car rien n’est garanti avec lui, aussi bien dans son apparence que dans sa persistance ; ici règnent l’instabilité et la flouerie. Quant à décrire un tel environnement… le simple fait de l’évoquer constitue déjà une atteinte à son essence. Ces terres sont éclatées en quatre domaines distincts aux frontières migrantes. Aucune esquisse possible donc, il suffit de savoir que ces domaines correspondent aux quatre éléments primordiaux: Nahydivy’Orm pour le feu, Pharmen’Orm pour l’air, Asheam’Orm pour l’eau et enfin Sybstir’Orm pour la terre. Les points d’accès y sont multiples. Ceux qui cherchent à s’y introduire devront ressentir vers où les zones d’entrées les conduiront… au risque d’éprouver de terribles désagréments. Il n’est pas inutile de rappeler non plus que, quelques soient les êtres des Mondes faillés, vivants ou morts, ces derniers puisent et puiseront toujours, consciemment ou non, leur énergie d’Augh-Draom.

I-E: Enthrila, La province aux charmes. Voici le dernier monde extérieur, sans doute le plus idyllique pour l’esprit. Contrairement aux autres mondes extérieurs, celui-ci s’est édifié d’un seul tenant. De même, inutile de chercher de souterrains ici car la lumière, tout comme la vie et la beauté, domine les débats et les ténèbres y sont bannis. Malheurs à ceux qui osent noircir de leur vilenie ou de leur laideur ce territoire immaculé. L’eau, symbole de la fécondité, coule … ou se repose dans d’immenses lacs. Timothée la gracile, la princesse aux mille vertus déploie ses charmes. Sa voix cristalline résonne dans chaque cascade, se répercute de rochers en rochers pour gentiment s’éteindre dans les arbres aux feuillages colorés. Les habitants évoluent librement sans qu’aucune loi n’influe sur leurs déplacements ni sur leurs comportements. Tous agissent selon leurs convenances sous réserve qu’ils ne portent pas atteintes aux fondamentaux de ce monde. Les étrangers sont considérés avec méfiance par les habitants d’Enthrila. On ne gagne leur confiance que difficilement. On ne connaît qu’une seule entrée à ce monde ; l’arche aux fleurs, une grande voûte resplendissante qui culmine au sommet d’une étroite corniche, au Nord d’Almagamo.

II – Le cœur central, Almagamo
Carrefour, point de rencontre, nœud, autant de termes qui se déclinent à l’infini pour dépeindre Almagamo, la région des (aux) circonstances. Contrairement à la relative homogénéité de chacun des mondes extérieurs, ce monde, ou plutôt ce territoire, réduit en dimension, symbolise et incarne la diversité. Cette hétérogénéité n’est pas un vain mot. Elle s’exprime à travers sa géographie composite et son univers cosmopolite. Cela ne veut pas dire anarchie. La population d’Alamagamo est certes mélangée sans pour autant sombrer dans le chaos. Au contraire. En la matière, aucune tolérance n’est acceptée et l’ensemble des parties l’a toujours accepté. Ici, plus qu’ailleurs les adeptes de Némésis, l’expiatrice, veillent avec diligence à ce que les règles basiques soient respectées. Car il s’agit d’un consensus ad minima et les missions de ses adeptes, qui dépassent d’ailleurs le simple monde d’Almagamo, sont strictes et limitées. En clair, éviter qu’une force ne cède à la tentation de la zizanie et ne cherche à déstabiliser l’harmonie, certes relative, de ce monde. On peut compter sur eux pour qu’ils s’affranchissent de leurs missions.

Une seule ville, Enoos, immense –la plus grande des Mondes faillés- tentaculaire, s’étire sur plusieurs km2 et s’enfonce dans les profondeurs. Bien prétentieux celui qui prétendrait la connaître dans sa totalité. Cinq artères majeures, sortes de monstrueuses aortes, explosent de la ville, irriguent le territoire d’Almagamo, s’échappent hors de lui et l’enlacent pour imposer les limites de ce territoire avec les mondes extérieurs ; on croit même que ces artères poursuivent leurs routes et marquent de leurs sillons profonds les contours des autres mondes. La ville d’Enoos est découpée en districts distincts, chacun tenu par des factions divergentes. Un comité regroupant ces différentes factions gère la politique de la ville. Les membres de ce comité, élisent en leur sein un des leurs pour les représenter. Il devient, pour un temps, gouverneur de la cité. Son mandat peut être révoqué à tout instant si la majorité des membres du comité le décide. Inutile de préciser que son aura est immense autant que sa tâche ardue; réunir dans un même endroit humains, elfes, humanoïdes en tout genre, démons, diables ou anges, relève de la gageure. Et pourtant, depuis la nuit des temps cette cohésion se maintient. Pari gagné ?

III – La gangue: le liant invisible vital
Il s’agit d’un espace délétère, où le temps s’écoule selon sa propre logique, hors de tous critères connus. Personne ne domine ici ou alors avec un si faible résultat que cela relève de l’anecdotique. D’ailleurs très peu de créatures y habitent de façon permanente car tout semble uniforme, incolore et intangible. Il n’y a ni haut, ni bas. Quelques rochers épars dérivent au gré des courants, emportés telles des coquilles de noix vers des lieux improbables. Des zones turbulentes surgissent sans prévenir et dévastent tout. Malheurs à ceux qui sont pris dans l’une d’elle. La gangue est utilisée comme une zone de passage d’un monde à un autre. C’est un espace transitoire. Certains s’y réfugient pour un temps pour s’y dissimuler ou se recueillir; d’autres naviguent à bord de flottilles iconoclastes et incongrues. La plupart y pénètrent pour en sortir aussitôt. Au même endroit, ou plus loin, -comment en être sûr ?- l’atterrissage étant, pour les novices, toujours une source de désarroi tant les repères manquent. Malgré ces caractéristiques pour le moins étranges, la gangue rempli une fonction essentielle dans les Mondes faillés. C’est elle qui assure l’indispensable liant entre les mondes. C’est la gangue qui absorbe l’énergie accumulée en résorbant et amortissant les chocs physiques ou psychiques, servant alors de tampon entre les mondes matériels. D’ailleurs on raconte que ceux qui s’y attardent trop longtemps perdent de leur consistance et deviennent définitivement évanescents. On ne sait s’il faut accréditer de tels propos. Certains pouvoirs facilitent l’entrée dans la gangue, combinés avec une conjonction d’opportunités compliquées qu’il faut analyser longuement. Des érudits versés dans les arts secrets en connaissent les principes mais conservent jalousement leurs savoirs.

IV – Les mondes mineurs ou les « poches »
Parfois, il plaît au bon vouloir de puissants princes de se retrancher dans un univers qui leur appartient. On conviendra que cela requiert une puissance non négligeable couplée à une pugnacité sans égale. Alors ils conçoivent un monde à part, leur propre monde, qui ne dépendra que d’eux ou presque. Ces univers originaux répondront toujours aux lois des Mondes faillés. En voici les deux règles principales imprescriptibles: chaque force inhérente aux Mondes faillés sera représentée, même sous une pâle métaphore, dans ce nouveau monde; une part importante de ces mondes sera ancrée dans l’irréel, l’illusion ou l’onirisme. Notons que plusieurs de ces mondes baignent dans une quasi-virtualité sans que les habitants de ces poches eux même n’en ait nullement conscience. Combien en existent-ils ? Estimation oh combien délicate. La plupart d’entre eux se réduisent à quelques hectares tout au plus et leur durée est éphémère. Beaucoup de puissants s’adonnent à ce sport favori par grandiloquence ou ennui et bâtissent des mondes voués à une disparition programmée. Quelques-uns pourtant émergent du lot pour une raison indéterminée et deviennent des mondes -certes secondaires au regard des Mondes faillés- à part entière. Il en va ainsi du Domaine constant. Les « poches » qui ont dépassé le cap du millier d’années sont rares. Cela supposerait d’un monde mineur qu’il postule au rang de Monde majeur, au même titre que les cinq mondes extérieurs. Cela ne s’est jusqu’alors jamais vu. Les mondes mineurs se meurent dans une lente agonie, déchirés sous l’action des jeux destructeurs des failles. L’éclatement est inexorable.