Une enfance rude et terne
Thane et Ash, des faux jumeaux aujourd’hui âgés de 19 ans, ont été élevés par leur mère. Leur père, un ivrogne notoire, l’a quittée alors qu’ils n’avaient que cinq ans. Leur sœur aînée a succombé à la maladie. Leur frère cadet a disparu en mer. La vie difficile mais banale d’une famille pauvre que la vie précaire à la campagne n’a pas épargnée. Des travaux à la ferme répétitifs et éreintant d’autant que les deux jeunes enfants se montrent de plus en plus désinvoltes. La ferme est située en bord de mer, à environ deux kilomètres du bourg le plus proche, un village de pêcheurs et d’agriculteurs de quelques âmes. Constituée d’un cheptel de cinq vaches, d’une dizaine de chèvres et de brebis, de trois cochons et de quelques poules, elle suffit à peine à subvenir au quotidien de la famille. Ils pêchent, un peu. Chassent aussi. Une vie austère, marquée par la rudesse du climat hostile de la région, où les tempêtes hivernales régulières sévissent par leur violence. Une vie dépourvue d’originalité où les divertissements et les nouveautés sont rares.
Inséparables, les jumeaux apprennent à lire et à écrire seuls, à partir des quelques rares livres glanés de-ci de-là dans le bourg voisin. Autant de temps grappillé aux nombreuses tâches qui s’imposent à eux. Compte-tenu de leur piètre condition, la question de l’école ne se pose pas. D’ailleurs, il n’y en a pas dans la région.
Les deux enfants aspirent au voyage, rêvent, comme tout jeune de leur âge, d’aventures. Ils sont aussitôt rattrapés par la dure réalité de leur existence et par ces travaux harassant qu’ils honnissent tant. Leur situation relève d’une désespérante platitude, un horizon bouché sans perspectives. Rien de tangible ne brise cette accablante monotonie.
Dés leur plus jeune âge, ils s’inventent une vie imaginaire afin d’oublier la banalité de leur quotidien. Ils s’imaginent libres et indépendants. Ils jouent aux guerriers. Se croient magiciens. Vers l’âge de seize ans, des flots d’images les assaillent, autant de flashs récurrents riches en promesses. Des personnages puissants lourdement armés chevauchent des montures colossales, des paysages fabuleux se dessinent sous leurs yeux. Que penser de ces créatures magiques qui s’imposent à leur esprit, de ces hommes et femmes d’une beauté hors du commun. On se demande comment de telles scènes peuvent germer dans l’esprit de si jeunes enfants inexpérimentés. Chimère, monde onirique ? Peut-être…
Leur terne quotidien est chamboulé à l’aune de leur dix huitième anniversaire. A leur réveil, ils découvrent, posé sur leur lit, dans cette chambrette indigente qu’ils partagent depuis leur enfance, une petite bourse en cuir. A l’intérieur, trois perles d’une valeur inestimable sont nichées dans un écrin de velours au côté d’un petit parchemin enroulé en vélin. Ils n’ont rien remarqué de spécial au cours de la nuit. Qui a pu déposer cette offrande ?
Dans celle d’Ash, les perles d’un blanc d’albâtre brillent dans l’obscurité. Très lisses, chaudes au toucher, elles paraissent fragiles et cassantes bien que très denses. Dans celle de Thane, les perles curieusement légères, à l’éclat mat voire terne, de texture presque écailleuse, s’effritent. Elles sont si froides. Le garçon en frissonnerait presque.
Ils déroulent avec avidité les deux parchemins. Un même texte écrit dans une langue inconnue qu’ils lisent sans difficultés.
« Lointaine, Apprenant. Gardez-les précieusement sur vous. Ces perles vous sauveront. Ne les montrez à personne. Annabelle ».
Des noms nimbés d’une aura de mystère qui signifient beaucoup pour eux.Alors, ils les cachent. Ils n’en disent rien à leur mère. Ces biens précieux qui leur rapporteraient beaucoup s’ils les vendaient ou les échangeaient. Ils les chérissent et les conservent jalousement sur eux jour et nuit. Un signe. La matérialisation de leur rêve. Ils ne se trompaient pas. L’espoir naît.
A partir de cette date, les flashs s’accentuent, s’affinent. Ils confrontent leur vision. Difficile de dégager une trame générale dans cette masse de données décousues qui les pressent. Ils ont remarqués deux personnages centraux, aux allures imposante et effrayante. Le garçon assiste aux démêlées d’un terrible guerrier tout de noir vêtu, au teint blafard qui le fait frémir. La jeune fille accompagne une elfe noire à l’extraordinaire beauté drapée dans une étrange cape d’ombre. Ils attendent les nuits que le sommeil les gagne pour embrasser les aventures extraordinaires et combien palpitantes de ces deux êtres.
Ces images, proches du cauchemar, devraient les inquiéter. Contre toute attente, elles les rassurent. Ils s’y accrochent et s’enhardissent. La conviction de leur potentialité s’affermit. Cette maturité chez deux enfants dont l’univers se limite à leur ferme et aux environs proches à de quoi étonner. Bien sûr, on les prendrait pour des fous s’ils divulguaient à leur entourage la teneur de leur rêve. Ils savent, dans leur for intérieur, qu’ils risqueraient d’attirer l’attention sur eux. De qui ? Ils l’ignorent. Ils se taisent. Ils contemplent secrètement leurs bijoux. Sourient. S’accrochent à leurs visions à la consistance si palpable… et espèrent qu’un autre signe se manifeste.