Récit de Laïxa – Trame générale
A – Naissance d’un monde
B – Émergence des consciences
C – Structuration et essaimage
D – Rébellion et accord
E – Pas si simple
F – Les trois questions:
◊ F1 – La question de la résurgence des mondes
◊ F2 – La question de l’essence du monde
◊ F3 – La question de l’essence de l’être
G – A propos des Pentacles et des Entités
H – De l’inéluctabilité d’un processus
I – Nouvel acte, phase 1
J – Nouvel acte, phase 2
A – Naissance d’un monde
Au commencement, tout n’était qu’amas. Des roches baignaient dans une gangue sirupeuse. Un jour une brise se leva. La brise devint tempête. La gangue s’effilocha. Sous le coup des rafales, des rochers se détachèrent de la matrice qui les maintenait prisonnier. Laissés nus, ils s’embrasèrent. Sous les assauts du vent, d’autres portions de la gangue se liquéfièrent. Charriées par le vent, ces gouttelettes heurtèrent de plein fouet les rochers enflammés. Des déflagrations se produisirent, sous les regards impavides de la gangue et les amas rocheux restés fidèles. De circonstances fortuites, ces événements se multiplièrent perturbant l’agencement immuable originel. Des agrégats reliés entre eux par des filaments de longueurs variables baignaient dans un espace semi-liquide. Parfois, dans les parties du réseau les plus tenues, une masse rocheuse se débattait, les filaments s’affinaient et cédaient. Rendue libre, celle-ci flottait dans des eaux tumultueuses. Le vent se déchaînait. Transportée tel un fétu de paille, elle heurtait la plus proche de ses congénères. Malgré l’élément liquide, elles fusionnaient dans une explosion où le feu s’en donnait à cœur joie. Des brandons s’inséraient dans la structure, puis durcissaient. Un embryon de monde, quoique encore bancal, avait été conçu.
Cet embryon de monde grandit. Des îlots rocheux hétéroclites, certains posés sur les eaux, d’autres perchés dans les airs ou immergés sous les eaux, étaient reliés entre eux par des axes hybrides tortueux. L’ossature du monde prit forme. Un lacis de mycéliums spectraux, innombrables veinules insaisissables, se greffa à la jeune ossature. Ils s’accrochèrent aux axes et aux agrégats se propageant de proche en proche et contaminèrent l’espace. L’énergie des éléments transitait par ces mycéliums et alimentait de son précieux fluide vital les agrégats. Un réseau synaptique complexe, Dédale, se structura. La charpente de cet embryon de monde était édifiée. Diluée dans l’espace, la Gangue, cette pâte amorphe originelle, se mua en une substance éthérée protectrice. L’imbrication entre la Gangue et Dédale, malgré des assemblages invraisemblables, se renforça. Enfin, une architecture d’essence organique prit forme. L’embryon de monde avait éclos: on l’appela le Monde lié.
Une conscience diffuse naquit de cette organisation. Elle aspira à vivre et à s’étendre. Cela supposait maintenir coûte que coûte la stabilité de cet assemblage précaire. De la Gangue, s’éveillèrent cinq êtres. Protubérances du Monde lié, extensions physiques de sa conscience, ils ne répondaient qu’à l’influx qui les avait fécondés. C’est pourquoi on les surnomma les «Entités de la Gangue». Aux côtés de ces Entités, des structures que l’on désigna par « Démons des failles » se déployèrent. Difficile d’en dire plus. Étaient-ils intelligents? Pour quelles raisons intervenaient-ils?
B – Émergence des consciences
Ce système en apparence stable rencontra de fortes résistances internes. Certains éléments dudit système, -ces agglomérats, faits de roche, de gaz, de feu et portés par le vent- acquirent une vie propre. Ils oscillèrent. Ils tentèrent de se soustraire de la Gangue et de Dédale. Les Entités entrèrent en action. Elles frappèrent. Elles furent aidées par les Démons des failles. Ces démons s’abattirent sur chaque agglomérat récalcitrant, se propagèrent à travers les différents conduits -axes ou mycéliums-, les distordirent, les asphyxièrent. Ils déferlèrent par vague sans stratégie d’ensemble. De leurs côtés, les Entités œuvrèrent de concert. Si la plupart des agrégats furent anéantis, quelques-uns résistèrent.
Les quatre éléments -le feu, l’air, la terre et l’eau- qui avaient fusionné pour donner naissance au Monde lié se désolidarisèrent du conflit. Il refusèrent de prendre parti. Les agrégats se nourrissaient via les mycéliums et étaient contraints par la Gangue et Dédale. Ce n’était pas le cas des éléments qui prirent leur essor. Libres d’agir, ils choisirent de poursuivre l’alimentation du système global. Peu leur importait si des fragments quittaient Dédale. Parfois, les quatre éléments se rencontraient pour fusionner. De ce syncrétisme, un agencement étrange se dessina, dont le tout était supérieur à la somme des parties. Il s’agissait de leur réponse face à ce conflit, selon eux, stérile. A quelle fin cet agencement était-il destiné?
Parmi les agrégats qui avaient survécus, deux tendances émergèrent. La première préconisa l’union de ses membres contre la Gangue et Dédale. La seconde y fut opposée. Les désaccords s’accrurent. Il n’y aurait plus jamais de rapprochement entre ces deux tendances: on les connaît de nos jours sous les noms de Chaos et de Loi. Une opposition de style qui repose sur des philosophies antagoniques; le hasard contre la nécessité. Le Chaos prône le risque et l’imprévu. Il a pour étendard l’incertitude. Au contraire, la Loi croit en la prédestination et la finalité. Elle se définit comme la force du dessein. Une lutte sans merci s’engagea. D’autant qu’au sein des deux formations, des voix s’élevèrent contre ces orientations belliqueuses et empreintes de malignité. N’était-il pas possible de négocier ? Les deux mouvements implosèrent en une multitude de factions irréconciliables. La bataille fit rage.
Il n’était plus question d’agrégation hétérogène d’éléments bruts ou de conglomérats informes. Au fil du temps, ils avaient acquis une identité propre, chacun puisant dans son environnement proche. Ils s’aguerrirent. Les plus forts et conquérants étaient devenus des êtres singuliers, aux capacités immenses, à l’ego surdimensionné. Ils modelaient l’environnement à leur guise, combattaient les agents de la gangue et les Démons faillés, ferraillaient contre leurs semblables. Leur nombre se réduisit. Chacun maîtrisait des sphères d’influences distinctes. Ils apprirent à se connaître. Les Maîtres-démons étaient nés. Par extension, on appela démon tout être qui résonnait en sympathie avec le Monde lié et dont la nature ambivalente et complexe, révélait son attachement au réseau tentaculaire Dédale.
C – Structuration et essaimage
Conscients que la situation ne pouvait perdurer, ils se réunirent et cessèrent le combat. Du moins frontalement. Ils étaient trop occupés à préserver -et étendre- leurs domaines acquis de haute lutte, tout en se protégeant des Entités qui les combattaient tous pour s’épuiser dans une guerre fratricide. Ils façonnèrent alors des figures. Ils les nommèrent Princes-démons. Matérialisation de la projection mentale des Maîtres-démons, ces derniers combattraient pour eux. Le sort déciderait de leur vie ou de leur mort. Pour sceller cet accord, les Maîtres-démons s’organisèrent en Caste et fondèrent des demeures. Ces Castes étaient composées de quatre Maîtres-démons auxquels s’agrégeait un des quatre Éléments, quel qu’il soit, pour atteindre le nombre cinq. Alternativement, en l’absence d’un élément disponible, l’une d’entre elle sommeillait. Les Éléments devinrent, presque malgré eux, acteurs du conflit qui opposait les Maîtres-démons à la Gangue. On ne sait ce qu’ils obtinrent en contrepartie. Le nombre cinq représente l’équilibre dans le Monde lié, sa quintessence. Chaque organisme primordial du Monde lié s’accorde avec ce nombre. Les Maîtres-démons qui luttaient depuis leur naissance contre l’équilibre prôné par la Gangue n’échappaient pas à ce précepte. Les Castes ne dérogeraient pas à cette règle. On imagine la subtile alchimie qui préfigura à leur composition. Elles avaient pour noms: Proximité, Sérénité, Douleur, Tumulte et Trépas/Vitalité. De nature instable, Trépas/Vitalité s’ancrait dans la dualité.
La double formation de ces maisons et de leurs figures entraîna des conséquences inattendues pour les Maîtres-démons. Ils avaient puisés au plus profond d’eux-mêmes pour façonner les Princes-démons et ériger les Castes contre les Entités. L’usage de cette puissance les avaient consumés. Leur matérialité s’effaça pour se dissiper dans les mondes. Leurs progénitures œuvreraient pour eux. Du moins l’espéraient-ils.
D – Rébellion et accord
A l’image de leurs géniteurs, les Princes-démons s’affrontèrent. Ils avaient été conçu pour cela. Ils étaient prêts à en découdre. Ils s’entre-déchirèrent. Avec hargne. Sans relâche. Peu importait le terrain de leur combat. Si nécessaire, ils le déplaçaient. Ils considéraient les autres créatures comme quantités négligeables. En tant que filles et fils des Maîtres-démons, ils se croyaient omnipotents. Et ils l’étaient. Presque. Les Maîtres-démons avaient jadis craint les Entités et les Démons faillés. Leurs enfants tremblèrent devant eux. Ils apprirent à les éviter, à les fuir ou à les détourner.
Les Princes-démons jouissent aujourd’hui d’une grande liberté d’action. Une liberté gagnée dans le feu et le sang. A l’origine, cela n’allait pas de soi. Leurs pères, les Maîtres-démons, les avaient créé pour qu’ils combattent à leur place et exécutent leur moindre désir. Las d’être utilisés comme de simples marionnettes, les Princes-démons se rebellèrent. Ils se liguèrent contre leurs maîtres. La plupart furent détruits ou réduits à l’impuissance. Les survivants fondèrent cinq fratries –toujours ce fameux nombre d’or- composées chacune de cinq Princes-démons. On les appelle «Pentacle». On prétend que les rapports entre les membres des pentacles sont infrangibles. Ces membres, solitaires et puissants, qui ne font confiance à personne, qui ne dépendent de personne, trouvent leur salut dans cette union. Entre eux, ils s’appellent «frères» ou «sœurs». Ces alliances improbables ont tenues les Maîtres-démons en respect.
Après de nombreuses altercations, les deux-parties parvinrent à un accord. Le contenu de cet accord fut consigné dans «l’Édit des genres». Cet Édit énonce les règles de fonctionnement régissant les Pentacles et les Castes. Les Princes-démons respecteraient leurs «pères» et s’efforceraient de les soustraire de la voracité des Entités. Là s’arrêteraient leur sujétion et leur devoir. Les Maîtres-démons n’interféreraient plus dans les affaires des Princes-démons rattachés à un Pentacle. Quant aux autres, ils demeureraient sous la férule des Maîtres-démons. L’Édit stipule les conditions de formation d’un nouveau Pentacle s’il advenait que l’un des cinq Pentacles soit brisé, ainsi que les conditions de remplacement d’un des membres d’un Pentacle. La contrepartie fut rude. Les Maîtres-démons les contraignirent à s’affronter éternellement. A moins d’abroger l’Édit des genres, les Princes-démons ne trouveraient jamais le repos. Certes, ils s’émanciperaient de leurs anciens maîtres, mais à quel prix! Ils seraient doublement menacés. Par les autres Pentacles. Par les Princes-démons non membres d’un Pentacle. Asservis, rongés par la jalousie, poussés par les Maîtres-démons, ces derniers tenteraient de briguer leur place. Ce faisant, les Maîtres-démons occupaient leurs figures tout en poursuivant leur lutte à distance.
E – Pas si simple
On a cru longtemps le combat limité à la gangue et aux Maîtres-démons. Un combat qui a pour cadres Dédale, les mondes et les mycéliums. Chaque partie dispose de ses atouts; des atouts aux penchants capricieux et fantasques; d’un côté les Entités et les démons faillés, de l’autre les Princes-démons. Il faut se rendre à l’évidence. D’autres belligérants se mêlent à la lutte. Le conflit les avait façonnés. Il s’agit des êtres du chaos et de la loi. Bien que de philosophie opposée, ces êtres incontrôlables, rongés par la haine, frappent sans discernement les acteurs des deux parties. Ils surgissent au cœur des combats, là où s’agrègent les Pentacles, les démons faillés, les Entités ou les Maîtres-démons. Ils se nourrissent de la concrétion des mycéliums et de la complexité de Dédale. Tous les démons supérieurs redoutent ces êtres intrépides, imprévisibles et immoraux. On prétend qu’ils interviennent quand quatre démons supérieurs d’une même catégorie se rassemblent.
D’autres créatures apparurent, modelées par des phénomènes d’ordres physiques et/ou magiques. Elles investirent le Monde lié. Contrairement aux démons, ces créatures nouvelles -qui incluent l’ensemble des humanoïdes connus aujourd’hui- ne résultent pas du Monde lié originel. Leur compréhension du monde est superficielle et leur rapport distant. Ce qui explique leur incapacité à déceler les mycéliums et la Gangue. Seuls les Démons majeurs ont le potentiel pour les appréhender.
Les Maîtres-démons sont considérés à tort comme des dieux. Ils sont certes supérieurs à ces jeunes créatures. Ils se meuvent à travers la télépathie onirique. Retirés, détachés des contingences matérielles, ces êtres n’existent désormais qu’à travers la représentation que ces créatures se font d’eux. Leur influence diminue quand ils disparaissent de la conscience des mortels. L’idée de culte résulta de cette nécessité. Ce fut une des stratégies adoptées par les Maîtres-démons pour ne pas sombrer dans l’oubli. Les cultes se répandirent dans le Monde lié.
On pensait les Éléments neutres. Ils l’étaient à l’origine. Peu à peu ils s’impliquèrent contraints et forcés. Ils participèrent à la fondation des demeures des Maîtres-démons. Ils permirent aux créatures mineures d’utiliser leurs propres chaires. Désormais, toutes les créatures se saisissent de l’essence des Éléments selon leur puissance et leur connaissance. Elles travaillent les métaux et les minerais, maîtrisent le feu, domptent les fluides, se déplacent,… On dit qu’ils transmirent leurs savoirs oralement à quelques-unes d’entre elles. Les druides, les élémentalistes, les cartographes et les alchimistes, furent de celles-là. Les grands maîtres cartographes défient l’impossible. Sous les yeux médusés des observateurs, armés de leurs plumes et pinceaux, ils figent les terrains en mouvement et imposent par leur seule volonté au sol de se poser. Ils dessinent les Mycéliums, Dédale et la gangue. De même, les alchimistes puissants concoctent des breuvages aux propriétés fabuleuses dont les démons supérieurs se délectent. Ces breuvages si importants pour les Princes-démons. La combinaison d’un laboratoire bien fourni, d’un alchimiste puissant et d’un maître cartographe constitue l’armature indispensable pour un Pentacle…